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LA GUERRE ET L’AMOUR

Carrington ses fiançailles avec Olivier Rambaud et son serment de lui rester fidèle, quoi qu’il dût arriver. Elle conclut :

— Je peux être votre amie, je désire même l’être, mais rien de plus. Seule la mort de mon fiancé, pourrait me dégager de mon serment.

— Pouvez-vous espérer qu’il soit encore vivant ?

— Tant que je n’aurai pas une preuve irrécusable de sa mort, je le considérerai comme vivant.

— Cette preuve pourrait bien ne jamais vous être offerte.

— Je resterai ce que je suis.

— Ne redoutez-vous point de vous trouver toute seule, un jour ? le jour où, pour obéir à la loi du Destin, vos parents devront quitter ce monde.

— J’y ai pensé. Il ne me restera plus qu’un refuge dans cette vie, le couvent.

Comme elle voyait une grande tristesse se peindre sur les traits de l’officier, elle ajouta, pour amoindrir ce que pouvait avoir de dur sa résolution.

— Oh, monsieur, croyez bien que je ne vous dis pas ces choses d’un cœur gai. Tenez ! je serai franche. Même sans vous connaître davantage j’accepterais votre offre, si j’avais la certitude que mon fiancé n’est plus de ce monde. Car, comme je vous l’ai dit, en mon nom comme au nom de mes parents, je vous dois une dette que je serais très heureuse d’acquitter par tous les moyens. Cela ne me serait pas difficile de vous accorder ma main à titre de paiement de cette dette, parce que déjà j’éprouve à votre égard une très grande sympathie, et j’ai tellement confiance en vous, en votre bonté, en votre loyauté que j’ai la conviction que le bonheur, en votre compagnie, me serait assuré. Mais, hélas ! Il nous faut nous soumettre bon gré, mal gré à notre destin.

Carrington ne voulut pas insister. Mais il sentit une amertume intolérable pénétrer peu à peu dans son cœur, et, pour le pire, une amertume qui tuait tout espoir. Il avait examiné tous les obstacles susceptibles de se dresser entre elle et lui, hormis celui-là, qu’il ignorait. Or Louise avait raison, et, à moins d’une certitude contraire, elle devait rester ce qu’elle était. Carrington, vraiment, l’en estimait davantage. Il avait près de lui une femme de caractère, mais aussi il avait le sentiment d’un trésor inappréciable qui lui échappait.

Bien triste fut le départ de l’officier, le matin suivant. Ce fut le cœur gros que Louise le vit s’éloigner, et probablement pour toujours. Quand elle ne le vit plus, elle s’affaissa sur un siège et se mit à pleurer. C’était la première fois en sa vie, peut-être, que des larmes s’échappaient de ces beaux yeux noirs dont la lumière semblait un rayonnement d’astre. Non, ses parents ne se rappelaient pas l’avoir jamais vu pleurer. Il fallait donc que le chagrin fût immense qui la jetait ainsi dans un flot de pleurs amers et débordants. Ses parents voulurent la consoler, sachant à quoi s’en tenir. D’ailleurs, Louise leur confia tout de suite que sa souffrance lui venait d’avoir blessé, sans l’avoir voulu, un grand et noble cœur. Oui, Carrington l’aimait et la désirait pour la compagne de sa vie… Eh bien ! elle finissait par devenir très misérable, très malheureuse parce qu’elle se voyait forcée de faire des malheureux.

Sa mère ne savait trop que dire ou conseiller. Quant au capitaine, il voulut émettre son avis tout de suite.

— Écoute, ma fille, dit-il, il faut faire selon la volonté du grand Maître. Si Olivier ne revient pas, et j’ai bien peur qu’on ne le revoie jamais, il faudra bien que tu prennes un homme. Eh bien ! sacre de sacre, vaut autant que ce soit le major qu’un autre. C’est un brave officier et un honnête garçon, dont tu pourras faire un bon chrétien, si tu veux t’en donner la peine. Après ça, dame, si je me suis trompé, Dieu me le pardonnera.

Sur ce, il secoua la cendre de sa pipe avec une rude énergie.


CINQUIÈME PARTIE

Préliminaires


Après le départ du major Carrington, la vie, à la Cédrière, devint si triste et si mélancolique, qu’elle parut peser sur ses habitants de toute la lourdeur d’un deuil immense et infini. Carrington, en s’en allant, avait emporté avec lui toute la joie de ces braves gens, ainsi que leur esprit, leur cœur, leur âme et peut-être, leur dernier espoir de vie. Car, dans la mortelle désolation créée par ce départ, les cœurs parurent exhaler un long soupir d’agonie.

De ces trois êtres unis par le lien du sang et par un trait puissant d’affection et de tendresse, qu’on ne pouvait briser ni effacer sans atteindre cruellement trois âmes bonnes et généreuses, le capitaine sembla être le plus désolé. Car la présence du major, sa courtoisie, sa bonne humeur, le charme de sa conversation, tout cela avait, pendant ces trois jours, comblé le grand vide creusé par l’absence d’Aurèle et Olivier. Le capitaine aimait à parler du bon vieux temps, de sa vie de corsaire et de pêcheur, et, justement, le major s’était montré un auditeur attentif et complaisant, la mine toujours charmée et enchantée par la narration que le capitaine lui faisait de ses aventures. À présent, il n’avait plus personne à qui conter ses histoires, rapporter des anecdotes, et il en