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LA GUERRE ET L’AMOUR

Et pendant que Carrington informait le lieutenant Holbart de ce qui avait été convenu, le capitaine appela sa fille.

Louise… Louise… cria-t-il.

La jeune fille parut dans la porte à cet appel de son père.

— Louise, reprit le vieux, nous avons de la visite à dîner. Tu voudras bien faire le nécessaire. Mais avant tout ça, si tu nous apportais une bouteille de vin et trois verres, hein, ma fille ?

Louise acquiesça d’un signe de tête et d’un sourire.

Les deux Anglais avaient jeté un coup d’œil furtif sur la jeune fille, et, sans plus d’examen, elle leur parut fraîche et jolie.

Carrington venait d’interroger l’ancien pêcheur sur l’existence qu’il avait menée avant de venir s’établir dans l’Île Saint-Jean.

Le vieux retrouva sa loquacité de marin, et l’on sait que le marin, autant que le chasseur, aime à raconter les bons coups qu’il a faits et tient toujours en réserve un sac bien rempli d’anecdotes ou d’histoires toujours élargies et enjolivées. Tout d’abord, le capitaine parla de sa jeunesse, au temps de son apprentissage de la navigation avec son père, l’ancien corsaire brestois. Il rappela par le menu la perte de leur navire, après une rencontre sanglante avec des navires de guerre anglais, rencontre en laquelle son père avait trouvé la mort. Il narra sa captivité en Angleterre, ajoutant complaisamment qu’il avait été fort bien traité par messieurs les Anglais.

À ces paroles, le major sourit avec un plaisir manifeste. Et il allait faire quelques observations, mais s’abstint en voyant paraître Louise chargée d’un plateau sur lequel était posés une bouteille pleine d’un beau vin rouge et des verres. Comme elle approchait, Carrington, imité par son compagnon, se leva, enleva le tricorne et s’inclina fort galamment devant la jeune fille. Elle sourit aux deux étrangers avec une inclination de la tête et tendit le plateau à son père. Invitée par celui-ci à participer à cet acte de politesse, elle s’excusa, disant la besogne qui l’attendait à la maison, et retourna à ses occupations, non sans avoir salué les deux visiteurs d’un nouveau et joli sourire.

Le capitaine s’apprêtait à verser le vin, lorsqu’il avisa le major tenant de grands yeux admiratifs fixés sur la jeune fille, qui s’éloignait déjà dans une démarche rapide.

— Bon, fit-il, je vois ce que c’est… J’ai oublié de vous dire, monsieur le major, que c’est ma fille, oui, ma Louise.

— Voilà bien ce que j’ai pensé tout de suite, répondit Carrington.

Celui-ci, cette fois, avait eu le temps de faire un examen de la jeune fille, et il va de soi qu’il la trouva fort jolie et gentille. Mais il fut surtout surpris de lui trouver un air de distinction qu’à cette époque on découvrait bien rarement dans les familles campagnardes. Et Carrington de penser et de se dire !

— Par mon âme ! Voilà une belle fille, ou je ne m’y connais point.

Cependant, le capitaine avait empli les verres et disait :

— Allons ! messieurs, nous buvons à votre santé.

— Merci, dit Carrington, et aussi à la vôtre.

Le vin fut trouvé excellent. Puis, le capitaine reprit sa narration interrompue. Réchauffé par le bon vin, il racontait gaiement les aventures de sa vie de pêcheur. Le major l’écoutait distraitement. Il tenait le plus souvent ses regards tournés vers la porte ouverte de la maison, où de temps à autre, il voyait passer et repasser la fine silhouette de Louise.

Le lieutenant Holbart, par une attention soutenue, s’efforçait de comprendre tout ce que racontait l’ancien marin, mais il n’y parvenait pas toujours. Tout de même, il faisait mine de comprendre et chaque fois qu’après un bon mot le capitaine se mettait à rire, lui, Holbart, s’évertuait à rire plus fort.

Après un bon moment, on vit Guillaume, l’engagé, venir des champs pour le dîner.

— Ah bon ! voici Guillaume, dit le vieux, le dîner doit être prêt. Nous allons boire une autre goutte, mes amis, puis nous entrerons pour nous mettre à table,

Et cette table parut surprendre beaucoup les deux visiteurs, d’abord par son couvert bien propre et bien disposé, ensuite par quelques petites gerbes de fleurs rapidement arrangées par Louise, et enfin par la diversité des aliments. Dans un rapide examen Carrington admira la disposition et l’arrangement des choses dans l’intérieur de la maison, l’ensemble révélant un goût sûr et rare. Perspicace, il devina que cette ravissante jeune fille, qui s’empressait au service de la table, était la providence de cette habitation comme elle en était l’artiste. Et artiste jusque dans la préparation des mets, ainsi que le pensa Carrington au comble de l’admiration. La soupe était excellente. Le potage avait une saveur que le major avait rarement goûtée. Le pain et le beurre délicieux. Du jambon froid parfait. Une sauce au saumon, en laquelle entraient des œufs battus, de la crème et du fromage, parut au major comme un hors-d’œuvre à nul autre pareil. Et les tartes aux framboises, les confitures trempant dans une