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LA GUERRE ET L’AMOUR

vissante et adorable, là, dans sa surprise, dans son émoi, avec ce visage charmant qu’ombrageaient les larges ailes d’un chapeau de paille. Son accoutrement de paysanne ne la déparait point : il semblait, bien au contraire, lui donner plus de grâce et de séduction. En vérité, on aurait pu la prendre pour une marquise déguisée en reine de mascarade. Bien sûr que Max la trouvait plus désirable que jamais, puisqu’il restait extasié, ses deux mains l’une sur l’autre appuyées sur le canon de son fusil et son menton posé sur ses mains. Dans cette posture il avait un air de nonchalance ou de lassitude, comme s’il eût ressenti une grande fatigue après une longue et rude marche.

Louise l’interrogea :

— Qu’es-tu devenu, Max, depuis si longtemps ? Pourquoi nous as-tu quittés si brusquement ? Sais-tu que nous avons beaucoup souffert de ton absence ?

Il ébaucha un sourire sarcastique, mais ne répondit pas.

Louise, en se remémorant ce qui s’était passé entre elle et lui, sentait une crainte l’envahir. Elle croyait lire dans le regard étincelant du jeune Indien des pensées mauvaises, et son sourire lui paraissait cruel. D’ailleurs, elle n’était pas sans se dire qu’elle avait mortellement blessé l’orgueil de Max, et qui l’assurait qu’il ne revenait pas, maintenant, avec une idée de vengeance ? Les circonstances pouvaient la porter à faire les suppositions les moins rassurantes, pour la raison toute simple que l’Indien au lieu de venir à la maison pour la voir, choisissait de la rencontrer dans les bois où, seule et sans défense, elle était à la merci de ses brutales passions. Pourtant, elle imaginait difficilement que Max, tout sauvage qu’il était, pût se porter contre elle à des actes indignes. Il était possible aussi que cette rencontre pût n’être qu’un fait du hasard.

La situation devenait embarrassante et Louise voulut y mettre un terme. D’ailleurs, elle avait sa besogne à faire. Il fallait ramener le troupeau à la ferme et traire les vaches. Déjà le soleil inclinait rapidement sur les coteaux du voisinage. Bientôt le crépuscule se ferait.

— Max, dit-elle, je vais chercher le troupeau. Si tu veux m’accompagner, tu reviendras avec moi à la maison… Mes parents seront bien contents de te revoir.

Enfin d’une voix sourde et traînante, il laissa tomber :

— Max veut parler à sa sœur blanche.

Et, changeant de posture cette fois, il indiqua à quelques pas la souche d’un hêtre comme pour inviter la jeune fille à venir s’y asseoir.

Louise refusa d’un mouvement de la tête.

— Non, Max, je suis pressée. Ce que tu veux me dire, tu me le diras chemin faisant.

Elle voulut passer outre et continuer son chemin vers le pré, à quelque distance, où elle pouvait apercevoir les bestiaux, qui paissaient tranquillement.

Louise ne put faire trois pas, que l’Indien, laissant tomber son fusil, la saisissait dans ses bras nerveux et la pressait contre lui. Elle ne jeta pas un cri, mais tenta seulement de se déprendre, y mettant toutes ses forces. Mais elle sentit tout de suite qu’elle était prise comme dans un étau. Et lui pressait plus fort, éprouvant une grande jouissance à sentir ce corps de femme contre le sien.

— Max aime sa sœur blanche, dit-il, et il la veut pour sa femme. Max est venu la chercher.

— Laisse-moi, Max, cria-t-elle, je suis promise…

Elle étouffait.

— Le promis de ma sœur blanche est mort. Max est venu chercher sa femme.

Louise se débattait ; mais, emprisonnée dans ces deux bras jeunes et puissants, ses efforts étaient bien vains.

— Laisse-moi, Max, laisse moi… pour l’amour de Dieu !

Elle ne savait plus que dire ou que faire. Elle eut l’impression, probablement, qu’elle allait mourir.

Max pencha son visage sur le sien. Elle rejeta sa tête en arrière pour éviter ce contact affreux. Maintenant l’horreur et l’épouvante se peignaient sur ses traits. Max serra sa taille plus fort, il ploya cette taille frêle avec brutalité. Elle lança un autre cri, perçant cette fois, essayant encore d’échapper à l’étreinte de ce démon. Lui tenait bon. Il voulait sa bouche et il l’aurait, fût-ce une bouche inerte et sans vie, la bouche froide d’un cadavre. Elle réussit à dégager une de ses mains, et de cette main saisit le cou de l’Indien, qu’elle se mit à serrer avec tout ce qui lui restait d’énergie et de force. Ce reste de force, se trouvant triplé par la peur, les doigts agirent comme des griffes de fer. Max suffoqua. Il perdit cette fois son sang-froid, la fureur l’emporta.

— Max tuera sa sœur… grogna-t-il d’une voix mal distincte…

Rendue au paroxysme de l’horreur, Louise serra plus fort. Mais déjà ses doigts fatigués avaient l’air de se détendre. Max sentit cette détente, et, donnant un brusque coup de la tête, parvint à dégager son cou et à ressaisir le bras de la jeune fille. Mais sa main se trouvait libre, et cette main rencontra le manche d’un couteau passé dans la ceinture de Max. Un frisson — était-ce de joie et d’espoir ? — secoua la jeune fille. Car elle saisit avidement ce couteau, parvint