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LA GUERRE ET L’AMOUR

Enfin, le capitaine, s’étant arrêté tout près de la fenêtre, fit un geste d’appel au jeune paysan et disait à voix basse et sur un ton mystérieux :

Venez voir ça, mon ami… Qu’est-ce que je vous disais ?

Non seulement le visiteur, mais les deux femmes aussi étaient accourues près de la fenêtre, où elles cherchaient à étouffer de fortes exclamations de surprise.

— Allons, mon ami, reprit, le capitaine s’adressant au jeune paysan, prenez votre fusil et je vais entr’ouvrir la porte tout doucement. Mais ne le manquez pas…

Tout heureux de montrer son savoir-faire, le jeune homme, en moins de deux secondes, avait saisi son arme et s’apprêtait déjà, crosse à l’épaule, à faire feu. Mais au bruit, si léger fût-il, de la porte qu’on ouvrait, l’animal dressa l’oreille, guidé par l’extrême finesse de son ouïe, et, flairant tout de suite un danger, fit un bond, tourna sur lui-même, prit son élan, disparut dans l’épaisseur des fourrés. Tout cela avait à peine duré le temps que dure l’éclair zigzaguant dans la nue.

— Bon Dieu ! s’écria le capitaine, c’est trop de valeur… Et en même temps il offrait une physionomie désappointée et chagrine.

Le jeune paysan ne parut point subir le même désappointement. Au contraire, il avait sa placidité d’homme des champs :

— Bah ! ce sera pour une autre fois, capitaine.

L’incident égaya tout le monde, surtout le jeune paysan, dont le grand rire devenait contagieux. Oh ! lui, comme il se moquait bien de tous les chevreuils, cerfs, caribous, orignaux et autres gibiers de la terre entière, du moment qu’il pouvait contempler la beauté de Louise et s’enivrer de ses charmes. Pardi ! il chassait la femme et point le gibier des bois…

Louise n’eut pas de peine à deviner les intentions du jeune homme. Aussi demeura-t-elle sur la réserve, chagrine et désolée par avance à la pensée qu’elle pouvait être pour la deuxième fois cause d’une amère déception.

Ce ne fut pas long. À quelques jours de là, par un beau dimanche d’une température agréable, un traîneau s’arrêta devant la porte du capitaine avec, comme voyageurs, le jeune paysan amoureux de Louise et son père. Celui-ci venait demander la main de la jeune fille pour son fils que, justement, il venait d’installer sur une terre voisine de la sienne. Le capitaine abandonna la réponse à celle qui était directement mise en cause.

Il fallut peu de mots à la jeune fille pour faire entendre qu’elle ne pouvait accepter un autre époux que celui auquel elle s’était promise. Mort ou vivant, elle voulait lui rester fidèle.

Il y avait encore d’autres jeunes hommes dans la colonie qui désiraient faire la conquête de Louise. Mais sa tenace fidélité envers l’absent découragea les plus hardis : aucun d’eux ne se présenta.

Louise et ses parents continuèrent leur existence solitaire et paisible, chacun s’ingéniant, à créer autour de soi toute la félicité possible.

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QUATRIÈME PARTIE

Un major américain

Les Anglais tinrent Louisbourg jusqu’au mois d’octobre 1748, alors que fut signé le traité d’Aix-la-Chapelle, par lequel l’île Royale était rendue à la France. Ce traité était la conclusion de la guerre de la Succession d’Autriche, laquelle avait remis aux prises l’Angleterre et la France, irréconciliables rivales.

Une fois encore la paix s’était faite sur l’Europe, paix censée s’étendre jusque sur le nouveau monde. Mais là, la paix n’était jamais qu’une paix armée, ou plutôt une guerre sourde et continue qu’entretenaient les Anglais des colonies du sud.

Au mois de juin de l’année suivante (1749), plusieurs des anciennes familles de Louisbourg revinrent au pays. La nouvelle en arriva aux habitants de l’île Saint-Jean sur la fin de juillet. Le capitaine Dumont, à cette nouvelle, regretta plus que jamais la perte de son bateau, car il fut pris du désir de retourner à Louisbourg et de se remettre à la pêche. C’eût été folie et pour bien des raisons. Et puis, oubliait-il qu’il n’était plus bon à grand chose, avec les rhumatismes qui le dévoraient depuis un peu plus d’un an ? À ne faire que deux ou trois heures d’ouvrage seulement, il se sentit tout éreinté. Louise et sa mère, d’ailleurs, savaient lui faire entendre raison. Il n’avait plus qu’à se tenir tranquille, sur son domaine où il vivait heureux sous les soins, attentifs et empressés de sa femme et de sa fille.

Avec la fin de la guerre et le retour en l’Île Royale des déportés de (1745), on espéra, à la Cédrière, obtenir des renseignements sur Aurèle et Olivier ; mais rarement un navire accostait à la Pointe-aux-Corbeaux, dont les habitants restaient à peu près ignorés du reste du monde.

Un jour, les habitants du hameau, très incommodés par le manque de communi-