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LA GUERRE ET L’AMOUR

leurs, tant que la nouvelle de leur mort ne viendrait pas de personnes dignes de foi, Louise demeurerait confiante et continuerait d’espérer et d’attendre leur retour.

La jeune fille s’abandonnait à ces pensées, lorsque la voix de l’Indien attira de nouveau son attention.

— Max sait qu’il a causé une grande peine à sa sœur blanche en lui disant la mauvaise nouvelle. Mais que ma sœur blanche, maintenant, prête son oreille à la bonne nouvelle que Max lui réservait, une nouvelle qui réjouira son cœur.

— Ah ! fit la jeune fille avec une nouvelle surprise, tu as aussi une bonne nouvelle à m’annoncer ? J’ai hâte de savoir.

— Hun ! hun ! Max va parler.

Mais il ne parla pas tout de suite. Il se remit à considérer ses figures, et à en ajouter d’autres, prenant son temps, avec une impassibilité déconcertante. Puis il les lisait comme il aurait lu dans la page d’un livre. De temps en temps il effaçait quelques-uns de ces signes et les remplaçait par de nouveaux, qui avaient pour lui une signification nouvelle et concordaient mieux avec sa pensée. Tantôt c’était une courbe qu’il faisait disparaître, avec beaucoup de précaution, en lissant le sable doré de sa main longue et fine, pour mettre à sa place un demi-cercle ; tantôt une spirale qu’il remplaçait par une ligne oblique ou une perpendiculaire. Puis, penchant un peu la tête et le torse, il examinait ces nouveaux signes avec une grande attention, comme pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé. Enfin, satisfait et certain qu’il avait écrit tout ce qu’il voulait communiquer, il rompit le silence. Mais on pouvait saisir que sa voix n’était pas sûre. Plus basse, plus sourde, plus tremblante et comme craintive, elle procédait par de curieuses inflexions, et tantôt hésitante, tantôt bégayante, ainsi que la voix d’un enfant timide demandant une faveur qu’il redoute de ne pas obtenir.

— Ce que Max veut dire à sa sœur blanche, il y a longtemps qu’il veut le dire. Que ma sœur blanche écoute donc comme elle sait écouter. Max aime sa sœur. Il l’aime depuis cent vingt lunes. Mais il a su enfouir son amour dans le plus creux de son cœur, comme il enterre sa hache de guerre dans le sein de la terre. Depuis longtemps Max voulait parler à sa sœur et lui dire qu’il l’aimait, mais il ne voulait pas prendre la place de l’autre, de son frère blanc Olivier. Et Max souffrait, comme le cerf blessé dans la forêt. Parfois, il songeait à mourir plutôt que de subir une telle souffrance qui pourrait durer toujours. C’est pourquoi, ayant souffert, Max comprend la souffrance de sa sœur blanche. Aussi, il veut guérir cette souffrance, et sur le cœur de sa sœur il posera le baume puissant de son amour… L’autre frère est parti pour le pays de ses ancêtres, et ma sœur blanche en est bien peinée ; mais il lui reste son frère Max. Max sera son mari, qui la rendra heureuse pour toute sa vie. Car Max la traitera comme une reine. Il couchera à ses pieds. Il lui versera l’eau du lac pour baigner son front. Il lavera ses pieds avec l’eau du ciel. Il lui donnera à boire la rosée du matin. Il tressera sur sa tête des couronnes de fleurs. Il déposera dans ses mains les plus beaux fruits de la terre, de même qu’il mettra sous ses pieds délicats les plus belles et les plus chaudes fourrures. Ma sœur a-t-elle écouté ? Veut-elle recevoir Max pour son époux ? Que ma sœur blanche réponde à Max, il attend.

Louise était stupéfiée. Aurait-elle pu s’attendre à une telle déclaration ? Toute autre qu’elle aurait pris la demande de l’Indien pour une plaisanterie. Mais non, elle connaissait Max, il était sérieux. Et que pouvait-elle répondre ? Mais voici que dans son esprit il se fit un soudain raisonnement. Max n’avait-il pas menti en lui annonçant la mort d’Olivier ? N’était-ce pas un subterfuge au moyen duquel il espérait faire la conquête de la jeune fille ? Pourtant, Max n’était pas menteur, elle ne se rappelait pas qu’il eût jamais fait le moindre mensonge. Que devait-elle penser au juste ? Elle se trouva bien embarrassée. Si Max ne voulait pas lui faire de la peine, elle-même, de son côté, n’aimait pas à lui causer le moindre chagrin. Or, en refusant de se rendre au désir de l’Indien, elle n’ignorait pas qu’elle lui causerait un grand désappointement et une profonde souffrance, Elle chercha des paroles et des termes capables, du moins, d’atténuer cette souffrance.

— Max, dit-elle, après un moment de réflexion, tu dois savoir que je suis promise. Et même si Olivier…

L’Indien l’interrompit rudement :

— L’autre frère est mort. Max attend la réponse de sa sœur blanche. Si ma sœur blanche refuse d’être la femme de Max, Max mourra.

Louise ne put réprimer un sourire. Max avait perdu la raison, pensa-t-elle.

Elle savait encore qu’avec ces grands enfants des bois il ne faut rien prendre au tragique. Max allait mourir, si elle refusait de devenir sa femme… Mais non, Max ne mourrait pas. Mourir, en cette circonstance, voulait signifier que Max serait très chagriné, qu’il souffrirait beaucoup, que le reste de sa vie, enfin, pourrait être une torture. Max mour-