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LA GUERRE ET L’AMOUR

l’assaut des candidats à sa main. Elle espérait… elle espérait toujours le retour de l’autre. Or, il revint, l’absent, il revint après sept années de séparation, et, bien entendu, il épousa la fidèle fiancée.

Dans ce livre, Louise croyait voir depuis un an sa propre histoire et celle d’Olivier, moins, naturellement, le nombre d’années. Et, tout comme la fiancée, avec le même espoir et la même foi, le retour d’Olivier.

Oui, il va revenir. Il va revenir, se disait-elle avec énergie chaque fois que, dans son attente, l’espoir menaçait de sombrer. Car, assez souvent, certains découragements l’assaillaient et lui causaient de durs tourments. Le livre, ainsi que sa foi en la Providence, aidait à soutenir l’espoir.

Ce soir-là, comme à l’ordinaire après le souper, Max, fusil à l’épaule, était allé faire une tournée dans la forêt. Il en rapportait quelquefois du petit gibier, lièvre ou perdrix, qu’on mettait en fricot le jour suivant. Peu après le départ du capitaine et de sa femme pour les champs, Max déboucha soudain d’un fourré obscur de la forêt à l’autre bout du lac. Il faisait si peu de bruit en marchant que Louise ne l’entendit point. Il s’engagea dans une allée et se dirigea vers Louise, qui, toujours assise sur un banc près de l’étang et à quelques pas de l’habitation, continuait à lire. Quand Max ne fut plus qu’à quelques pas de la jeune fille, celle-ci, du coin de l’œil, aperçut tout à coup cette haute silhouette qui s’avançait vers elle. Elle sursauta de surprise et d’émoi, tellement elle se croyait seule, et elle manqua d’échapper son livre. Elle reconnut l’Indien. Il eut un sourire fugitif et dit à voix basse, comme s’il eût craint d’être entendu par d’autres oreilles que celles de la Jeune fille :

— Ma sœur blanche a eu peur… Elle est toute pâle et tremblante.

— Tu m’as surprise, Max, je t’attendais si peu. Je te pensais loin dans les bois.

Il ne répliqua point. Un instant il regarda Louise avec des yeux étincelants et avec une persistance telle qu’elle s’en étonna. Ce regard étrange la gêna et, pour échapper à cette gêne comme à ce regard, elle voulut dire quelque chose. Elle demanda :

— N’as-tu pas rencontré de gibier Max ?

— Non, pas de gibier.

Louise, par cette question, avait espéré détourner d’elle les yeux de l’Indien. Il n’en fut rien. Lui continuait à la regarder du même regard brillant et perçant. L’étonnement de la jeune fille devenait de la stupeur. Elle connaissait si bien Max, ses coutumes et ses fantaisies. Elle savait qu’il ne regardait jamais la personne à qui il parlait, elle moins que d’autres. Il ne jetait sur ses interlocuteurs que d’obliques coups d’œil. Comment pouvait-il se décider à regarder Louise de cette façon et avec une telle persistance ? Et ce regard n’avait rien de tendre. Il était plutôt cruel, il effrayait. Pour la première fois, la jeune fille eut peur de lui. Qu’il se fût montré bon pour elle, respectueux, toujours serviable, elle ne pouvait le lui nier. Mais pouvait-elle être sûre que cela durerait indéfiniment ? Car avec ces terribles enfants des bois on ne pouvait jurer de rien, surtout avec leur esprit de contradiction.

Elle se rassura lorsque l’Indien détourna subitement les yeux et alla s’asseoir sur le sable, presque aux pieds de la jeune fille, lui tournant le dos et face à l’étang. Il avait posé son fusil à son côté, et, penché vers la nappe d’eau claire de l’étang, le regard perdu dans une sorte de rêverie, il demeura longtemps immobile et silencieux.

Une brise s’était mise à souffler doucement, qu’on ne sentait presque pas dans cette clairière enclose de hauts bois, mais qu’on entendait bruire à la cime des arbres légèrement remués. Une ombre douce descendait peu à peu, envahissant la clairière, assombrissant encore les bois. Une grande paix régnait, une tranquillité faite de silence. Car après leurs chants crépusculaires coutumiers, les oiseaux s’étaient tus, sauf de temps à autre de timides pépiements ou quelques légers battements d’ailes. Cette heure crépusculaire des mois d’été était pour Louise la plus exquise de la journée. Cette vie animale autour d’elle, les verdures, les fleurs et leur parfum, l’étang qui miroitait sous un beau firmament qui s’étoilait, tout cela égayait sa solitude, tout cela mettait un baume très doux sur les tourments de son cœur, comme sur les inquiétudes de son esprit. Lorsque ces heures exquises prenaient fin, venus les soirs d’automne gris et froids, par les temps bas sous un ciel chargé de nuages, quand d’épais brouillards flottent à la cime des forêts, aux sommets des montagnes ou des collines, pareils à d’immenses linceuls qu’on étendrait sur un champ de morts, et qu’il fait un calme très lourd dans un silence si profond, si étendu qu’il semble que bêtes et hommes aient disparu de la surface de la terre, Louise, à ces moments, sentait une poignante amertume mordre son cœur. Il lui venait alors le souvenir de Louisbourg, de la vieille