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LA GUERRE ET L’AMOUR

ses bras. Elle l’embrassa longuement, le pressa sur elle, le tenant enlacé, comme une mère enlaçait son enfant dont on va la séparer. On eût dit qu’il y avait chez Louise, à cette minute, le pressentiment d’une séparation prochaine d’avec celui qu’elle aimait, et à cette seule pensée il lui semblait que son cœur se brisait.

Pendant que Louise, heureuse, étreignait son fiancé, elle ne songeait guère au compagnon d’Olivier, Max, à qui elle devait aussi quelques marques d’affection pour le dévouement avec lequel il aimait à servir ses parents ; chacun, d’ailleurs, le considérait comme un membre de la famille. Pour lui, paroles d’amitié, marques d’affection, n’avaient aucun sens ; comme tous ces congénères il ignorait les usages des blancs, ou, les connaissant, dédaignait de les pratiquer. Que lui importaient ces lois conventionnelles qui vous font exprimer des paroles d’accueil et de politesse, vous invitent à des gestes de courtoisie, à des manifestations d’amitié dans les revoirs, font tendre les mains en des poignées de bienvenue ou rapprochent les bouches en des baisers d’adieu ! Tout cela pour l’Indien de la comédie pure ; tout cela diminuait la dignité de l’homme. À quoi bon toutes ces paroles inutiles, ces salutations, ces simagrées, toujours les mêmes ! Bah !… Donc, comme à son habitude, il évita de saluer les gens qui le recevaient toujours avec une grande gentillesse. Il alla s’asseoir par terre, dans un coin sombre, le dos appuyé au mur, les yeux fixés sur les mocassins qui chaussaient ses pieds. Il était vêtu, comme toujours, de sa tunique et de sa culotte de peau de cerf, sans autre vêtement. Ni chapeau ni casque ne couvrait sa tête. Dès la venue du printemps, il enlevait son bonnet de castor pour ne le reprendre qu’au commencement de l’hiver suivant. Il demeurait tête nue, avec ses longs et beaux cheveux noirs flottant sur ses épaules…

Après l’étreinte des deux fiancés et les salutations d’usage, Olivier fut assailli de questions. Le siège, comment cela se passait-il ? Et les Anglais, faisaient-ils des progrès ? Avait-on l’espoir de sauver la ville ? Louisbourg allait-il tenir ou tomber ? Et Aurèle, oui, Aurèle ? Oh ! on ne l’oubliait pas, allez. Mais pourquoi n’avait-il pas accompagné Olivier ? on aurait tant aimé la voir.

Ici, Olivier dut expliquer avec beaucoup de précautions qu’Aurèle, deux jours auparavant, avait été légèrement blessé à une jambe par un boulet qui avait ricoché. Il marchait avec peine, et c’est pourquoi il n’avait pu venir. Mais la blessure n’était pas grave, une affaire de quatre ou cinq jours au plus. Puis Aurèle se retrouverait aussi ingambe qu’avant. Il ne fallait donc pas s’alarmer pour si peu.

Olivier, ensuite, se mit à parler de la ville. Louisbourg devenait un monceau de ruines. La population se décourageait. Les combattants se montraient toujours très mécontents, défendant la place avec une mollesse, un mauvais vouloir qui trahissait la haine qu’ils nourrissaient contre les chefs. Et puis les munitions diminuaient rapidement, surtout depuis qu’une casemate avait sauté. Pour le pire, un dépôt de provisions de bouche venait d’être anéanti par le feu, ce soir même, un peu avant le coucher du soleil. Aussi on n’était pas loin du jour où l’on manquerait de vivres. L’eau potable aussi était sur le point de manquer. Quant aux murailles qui protégeaient la ville, elles n’étaient plus que décombres, il n’en restait que quelques pans qui chancelaient à chaque coup de canon que tiraient les Anglais. Deux bastions, la veille, avaient été complètement détruits. Et puis, on avait sur les bras un tas de blessés… Les morts étaient nombreux depuis quelques jours. Maintenant les assiégés vivaient, à vrai dire, dans une panique qui finirait par mener à la catastrophe finale.

Olivier conclut ainsi ;

— Il paraît décidé qu’une capitulation sera offerte aux assiégeants ; le commandant et son état-major en préparent les termes.

— Je me doutais bien, dit le capitaine sur un ton indigné, que ces gueux en viendraient à cette extrémité. Voilà ce que c’est que d’avoir des poltrons pour chefs. Mes amis, je vous le dis carrément, on ne vaut pas cher quand on est réduit à capituler par sa propre faute.

— Cela est certain, reprit Olivier. Mais qu’y pouvons-nous, vous et moi ? Il nous faut nous soumettre à notre destin, heureux ou malheureux. Nous ne pouvons échapper aux désastres ni aux malheurs où nous entraînent les fautes de ceux qui nous dirigent. C’est là l’histoire de tous les peuples de la terre. Il y aura toujours cent braves pour payer de leur vie la faute d’un poltron ou d’un traître. Quel peuple, plus que le peuple de France, a dû payer pour les fautes, les erreurs ou les crimes de ses rois ? Je n’en connais point. Si nos chefs ont commis des erreurs de tactique ou de stratégie dans la défense de notre place, n’allons pas souhaiter qu’ils continuent dans ces mêmes erreurs. S’ils refusaient de capituler, à l’heure qu’il est ce serait