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LA GUERRE ET L’AMOUR

quaient surtout aux gros édifices et aux belles maisons bourgeoises. L’Église et le couvent étaient déjà en partie démolis. Les bâtiments publics tombaient les uns après les autres. Ce qui était bâti de pierre s’écroulait ; ce qui était construit de bois flambait.

Aurèle Dumont, Olivier Rambaud et Max l’Indien faisaient, comme tous les hommes jeunes et valides, le coup de feu sur les remparts. Du côté de la terre il fallait défendre les brèches contre les attaques massives de l’ennemi. Le capitaine Dumont se rendait utile partout où ses services étaient requis, soit pour combattre les incendies, soit pour faire des réparations à certaines brèches très inquiétantes dans les murs croulants. Chaque jour, il y avait des corvées de toutes espèces pour les vieux, personnes ne restait les bras croisés. Louise elle-même ne ménageait ni ses peines ni son dévouement, aidant les religieuses au soin des blessés.

Tous les soirs, lorsque cessait la canonnade, Aurèle et Olivier, parfois accompagnés de Max, venaient passer quelques heures en famille dans la cave du capitaine. Si l’on s’efforçait d’être gai, c’était pour mieux dissimuler l’angoisse qui étreignait fortement les poitrines ; et les cœurs les plus angoissés pouvaient être ceux des fiancés, Olivier et Louise. Lui, constatait que les quatre murs de la maison ne tenaient plus que par un miracle d’équilibre, il ne suffirait que de deux ou trois autres projectiles pour achever l’œuvre de destruction. Il cherchait donc un plan, un moyen de mettre la vie de Louise et de ses parente dans une sécurité absolue ; savoir la vie de sa bien-aimée assurée contre les innombrables dangers de la guerre, c’était pour lui l’essentiel. Il eut une idée qui lui parut la meilleure : il conseilla au vieux pêcheur de chercher un refuge sur sa barque avec sa femme et sa fille.

— Votre bateau, dit le jeune homme, se trouve dans une petite crique solitaire que protègent des bois épais et des rochers que les projectiles ne peuvent atteindre… Elle est sûrement ignorée des Anglais, qui d’ailleurs n’ont aucune affaire de ce côté. Vous y serez en pleine sécurité. Vous y pourrez bien paisiblement et en toute confiance attendre la fin de la guerre.

Aurèle était du même avis.

Louise remercia Olivier de son précieux conseil, car personne n’avait songé à ce moyen de protection. Le capitaine voulait bien accepter l’idée, reconnaissant lui-même que sa barque offrait un sûr refuge. Mais une objection se présentait à son esprit, comme à celui de sa fille, d’ailleurs : aller se réfugier sur l’Aurore pendant que tout le monde, jeunes et vieux, hommes et femmes, s’employaient de toutes leurs forces et de tous leurs moyens à défendre la ville contre les Anglais, n’était-ce pas une désertion ? Au jugement de tout homme honnête l’objection valait tout son pesant de vérité. L’honneur commandait à tous les défenseurs de la place de rester sous la mitraille, à quelque catégorie qu’appartinssent ces défenseurs. Les services du capitaine étaient très utiles à l’ensemble de la communauté ; au surplus, les vieux devaient remplacer, là où requis, les jeunes qui étaient mis hors de combat, tués ou grièvement blessés. Quant à Louise, elle était non moins utile au sein des blessés. Dame Dumont elle-même pouvait se faire un point d’honneur de ne pas déserter, car les femmes valides qui n’avaient pas charge d’enfants en bas âge, de vieillards décrépits, de malades ou d’impotents devaient servir d’une façon ou de l’autre à la défense de la ville. Elles devaient veiller sur les blessés, préparer la nourriture des combattants, laver leur linge et le repasser, raccommoder les vêtements déchirés ou endommagés de quelque manière, bref accomplir toutes les tâches utiles et nécessaires.

Quelque sérieuse que fût l’objection, Olivier ne s’y arrêta point. Si, pour sauver la ville, ces trois êtres étaient absolument nécessaire, oui, ils devaient rester dans les murs et seconder les combattants. Mais, dans l’esprit d’Olivier, Louisbourg était perdue ; un jour ou l’autre la place se rendrait ; il ne voyait nulle force, nulle puissance — à moins d’un miracle inespéré — capable d’empêcher cette éventualité. Et non seulement Olivier Rambaud pensait ainsi, mais la plupart des chefs et des combattants partageaient cette pensée, au point que Duchambon lui-même avait songé à faire sortir de la place les femmes, les enfants et les vieillards. Mais où les diriger ? Comment veiller sur ces faibles gens sans défense ? Les confier aux Anglais ? Mais c’était les envoyer au massacre, à la boucherie bien plus vite et sûrement, tant on imaginait l’Anglais cruel et sanguinaire.

Olivier, appuyé par Aurèle, plaida si bien sa cause qu’il la gagna en peu de temps et finit par convaincre le capitaine qu’il pouvait sauver sa vie et celle des siens sans qu’il y eut désertion ou déshonneur. Il fit entendre qu’en de telles circonstances chaque individu était maître de sa vie, qu’il lui incombait de la protéger par tous les moyens. Il ne fallait compter sur personne, sur les chefs moins que sur d’autres. Si, enfin,