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LA GUERRE ET L’AMOUR

que personne ne parut surprendre. Et là, à le voir ainsi, immobile et comme statufié, les mains tendues au feu de l’âtre, impassible, on aurait imaginé que ce sauvage se croyait seul, au fond des bois, devant le feu du bivouac.

Mais le capitaine Dumont avait bientôt pris la parole.

Je suppose, Max, que tu es revenu pour faire encore avec nous toute la saison à bord de l’Aurore.

Pensif et grave, l’Indien se borna à faire de la tête un signe affirmatif.

— Bon, bon, fit le pêcheur. Et tu as fait un bon hiver, sans doute ? J’imagine que tu es content de ton hiver, n’est-ce pas ? Voyons, dis-nous un peu de tes nouvelles.

— Oui, bon hiver… Max est content… répondit l’Indien sans tourner la tête, remuant à peine ses lèvres pour parler.

Personne ne s’étonnait de ce laconisme, chacun sachant bien que le jeune Indien était peu loquace, et personne ne se formalisait de ses rudes manières.

— As-tu fait bien de la pelleterie ? interrogea encore le capitaine.

— Un peu… comme ça…

De ses deux mains l’Indien fit un geste pour faire entendre qu’il rapportait un joli ballot.

— Et l’as-tu apportée avec toi, ta pelleterie ?

— Hun ! hun !

— Eh bien ! faut nous faire voir ça, Où l’as-tu mise ? Si tu veux, je ferai des marchés avec toi.

— Oui, Max veut bien.

Ce disant il se leva d’un mouvement vif et souple, alla ouvrir la porte, se pencha dehors et saisit quelque chose ; puis on le vit tirer à l’intérieur, par une courroie, un fort ballot, recouvert d’une peau d’orignal tannée. Il posa le ballot au milieu de la pièce, et dit simplement :

— Voyez…

Et il retourna s’accroupir devant la cheminée.

Tout le monde, curieux, s’était levé pour aller ouvrir le ballot et examiner le contenu. D’un coup de couteau Aurèle fit sauter la courroie qui servait à porter le ballot, et d’un deuxième coup fit voler les lanières de peau crue qui le ficelaient. Puis, une fois la peau d’orignal rejetée, un très beau lot de pelleterie apparut aux regards émerveillée.

— Bon Dieu ! fit le capitaine, Max n’a certainement pas perdu son temps.

Chacun, alors, de se saisir d’une peau, de l’examiner, de la palper et de la priser selon sa beauté ou sa valeur, et de faire les commentaires les plus divers.

Devant le feu, le dos tourné aux gens de la maison. Max paraissait étranger à ce qui se disait et se passait derrière lui. Il avait pris une attitude méditative, et la flamme haute du foyer éclairait pleinement son visage. Il était d’une beauté dont on n’avait pas d’exemple dans la race indigène de l’Acadie. Un sculpteur se fût passionné devant un si parfait modèle de la nature. Taille superbe, haute, droite, souple, finement détachée. Un corps félin qui ployait avec aisance et grâce, qui ondulait avec la légèreté d’un reptile, qui balançait comme le brin d’herbe ou la tige de jonc que le vent agite. Et pourtant, sa démarche, d’ordinaire, avait des allures de lenteur, de lourdeur, de paresse. Tout son corps semblait pétri de mollesse, un engourdissement paraissait paralyser ses membres, au point qu’on l’aurait cru incapable d’un mouvement vif et rapide. C’était là l’impression de l’étranger, dès le premier abord. Mais ceux qui le connaissaient ne s’y trompaient point. À l’occasion, Max savait bondir, et alors on découvrait en lui l’agilité du chat. Coureur infatigable soit par les routes, soit par les bois, par les sentiers les mieux battus ou par les chemins raboteux et coupés d’ormières, obstrués d’obstacles, nul de la jeunesse acadienne ne pouvait le suivre à la piste. Il allait comme le vent et paraissait pourvu d’une haleine inextinguible. Le capitaine avait déjà fait cette observation ;

— Il a une vraie haleine de chien, cet animal-là.

Lorsqu’il épiait et suivait le gibier, il allait d’un pas léger, sur la pointe des pieds, sans bruit, la taille ployée, son torse se faufilant, se mouvant, à la manière d’un reptile, sous les branches des arbres, à travers les fûts pressés, dans les sous-bois les plus touffus, les fourrés les plus inextricables. Et, chose curieuse, il savait ne laisser aucune trace visible de son passage. La nature l’avait doué de toutes les qualités possibles du chasseur, et, par surcroît, il possédait un flair de bête sauvage.

Maintenant, dans la clarté du feu qui baissait de moment en moment, sous les ombres dansantes et fugitives qui s’y jouaient en s’y mêlant, le visage de l’Indien prenait un relief saisissant, il était vraiment beau, d’une beauté féminine, au point qu’on aurait pensé voir une femme, sous des vêtements masculins.


♦   ♦

Cependant, les hôtes de la maison continuaient à déballer les pelleteries apportées par l’Indien. Louise et sa mère restaient émerveillées devant plusieurs