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LA GUERRE ET L’AMOUR

l’automne passé le père Aucoin s’est vu incapable de payer son monde. Il se peut bien que c’est pour n’avoir pas été payé que Pierre Leblanc cherche un autre patron ! Dame ! personne ne pourrait le blâmer, dans ce cas, de quitter la « Silhouette », et comme c’est un vaillant gars, je serai bien content, pour ma part, de le prendre à bord de l’Aurore. Tu le lui diras Aurèle.

— C’est bon, acquiesça Aurèle.

— Et notre ami Max, interrogea Olivier, en avez-vous des nouvelles ?

— Bédame ! non, répondit le capitaine. On ne sait plus s’il est mort ou vivant.

— Et toi, Aurèle, ne sais-tu rien à son sujet ? demanda encore Olivier.

— Non plus. Tout ce que je sais, c’est qu’il est parti pour les grands bois à la fin de décembre, et il ne paraît pas en être revenu.

— S’il est encore de ce monde, reprit le capitaine, il va certainement revenir, et bientôt. Ça ne m’étonnera pas de le voir apparaître avec un joli tas de fourrures. Le printemps passé il a trafiqué avec le sieur Bigot et il s’est fait rudement rouler. Je suis à peu près certain qu’il va m’apporter ses prises ce printemps.

— L’automne passé, dit Olivier, on m’a conté que Max, en compagnie d’autres sauvages, avait gagné l’île Saint-Jean, où, assure-t-on, le gibier est très abondant.

— J’ai aussi entendu la même histoire, dit Aurèle. Pourtant, Max lui-même m’a confié, peu après notre débarquement, qu’il songeait à aller passer l’hiver dans le nord de l’île.

L’entretien fut brusquement interrompu par un bruit dans la porte, comme si du dehors on eût donné un coup d’épaule. On pensa d’abord que c’était le vent qui ne cessait de secouer portes et volets. Mais, le même bruit insolite s’étant renouvelé, on put, cette fois, percevoir assez nettement qu’une main frappait dans la porte dont, à cause du vent, on avait poussé le verrou.

Louise courut à la porte. En l’ouvrant, elle échappa une exclamation de surprise. À ce moment, une violente rafale se jetait par l’ouverture, faisant sauter la flamme de la lampe pendue au plafond, soulevant les cendres et les braises du foyer, d’où s’éleva une gerbe d’étincelles. En même temps un homme apparut, ayant franchi le seuil d’un bond, comme poussé par la rafale, une longue silhouette mince vêtue de peau de cerf tannée et coiffé d’un bonnet de castor.

— Max !

Ce nom partit de toutes les lèvres.

— Ah ! bien, fit le capitaine, voilà ce qui s’appelle prendre la puce au crin, ou je me trompe fort. Justement, mon garçon, on parlait de toi. On se demandait si tu étais mort ou vivant. Mais Dieu merci ! je vois que tu es toujours bien portant, et bien vivant. Allons ! approche, viens te chauffer.

— Hum ! hum… fit seulement l’arrivant avec un sourire sans signification.

C’était ce jeune Indien Micmac, le troisième membre de l’équipage de l’Aurore,

♦   ♦

C’était, ce Max, un garçon d’une beauté étrange et surprenante. Malgré un assez long frottement à la civilisation des blancs, le jeune peau-rouge conservait toutes les empreintes de sa race : il demeurait le naturel qu’il était. Catéchisé et baptisé vers l’âge de dix ans, on lui avait donné le nom de Maxime, qui était le saint de ce jour-là. Puis on ne l’avait plus appelé que Max.

Il était entré sans mot dire, sans même une salutation, regardant un à un les hôtes de la maison, comme pour s’assurer qu’il n’avait là aucun ennemi à craindre. À sa vue Louise s’était écartée, abandonnant la porte, la laissant ouverte, que l’Indien alors referma avec précaution. Puis, le dos à cette porte, il promena de nouveau autour de la pièce ses yeux, qu’il avait très noirs, petits et étincelants pour les arrêter enfin sur Louise qu’il considéra un long moment. Et elle gênée, se mit à lui sourire candidement, et lui disait d’une voix accueillante :

— Nous sommes bien contents de te revoir, Max. Viens près de la cheminée te chauffer.

Il ne répondit pas. Il regardait la jeune fille avec une attention soutenue, sans que son regard perçant pût laisser deviner la moindre de ses pensées, sans que la finesse de ses traits, comme gravés au burin dans un morceau de bronze, fût altérée par la moindre émotion. Puis tout à coup, il s’avança vers la cheminée, lentement, un peu courbé des épaules et marchant sur la pointe des pieds, ou plutôt sur la pointe de ses mocassins, comme s’il eût craint de faire du bruit. Il ne prit point l’escabeau indiqué, mais s’accroupit sur le plancher de bois de chêne, à la manière indienne, devant la flamme haute, vers laquelle il tendait des mains brunes et fines, allongées, aussi délicates que les mains d’une petite fille. Il ne parlait pas. Une fois il lança vers Olivier un coup d’œil oblique et furtif, un coup d’œil qui sembla avoir la pénétration d’un dard, et