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LA GUERRE ET L’AMOUR

distingué dans son habit de velours noir, son gilet de soie bleue et sa culotte de velours gris. Son langage soigné, ses gestes, l’élégance de ses manières en général le distinguaient très nettement des gens du peuple. Mais modeste, sans prétentions, courtois, d’une politesse exquise, il plaisait à tout le monde. Venu à l’île Royale comme fonctionnaire, il avait peu après décidé, aimant la mer et obéissant à ses inclinations, de prendre la carrure de navigateur, et, pour faire son apprentissage de marin, il s’était offert au patron de l’Aurore, qui, à Louisbourg, passait pour posséder tous les secrets de l’art de la mer. Olivier Rambaud avait donc bien choisi son maître pour apprendre cet art, vaste comme l’univers, profond comme les océans eux-mêmes.

Le capitaine venait de raviver le feu de la cheminée. Puis, ayant pris sa place accoutumée au coin du feu et allumé sa pipe, il invita Olivier à venir se chauffer.

Olivier, à ce moment, causait à mi-voix avec Louise, un peu à l’écart, après qu’il eut fait ses politesses à dame Dumont et Aurèle.

— J’espère bien, ma chère amie, disait-il, que les vilaines nouvelles qui courent par la ville ne vous émeuvent pas trop.

— À voir votre tranquillité et votre air de bonne confiance, répondit Louise, nul émoi ne saurait troubler mon esprit. Rassurez-vous donc, je ne m’inquiète nullement, dès que vous êtes là surtout.

— Je suis content de vous entendre ainsi parler.

Il ajouta, élevant la voix, comme dame Dumont passait près d’eux chargée de plats qu’elle enlevait de la table.

— Et j’aime à vous assurer que nous pouvons demeurer tranquilles comme auparavant.

Le capitaine, entendant ces paroles, s’écria :

— Au fait, mon garçon, que penses-tu de cette histoire ?

Olivier quitta Louise, qui voulait aider à la desserte de la table, et alla prendre un siège devant le feu, entre le père et le fils de la maison. Il répondit :

— Je ne sais trop quoi penser, capitaine. Je suis un peu comme tout le monde, je me demande si les Anglais sont venus tenter un coup de main contre Louisbourg. Nous savons qu’ils méditent ce coup depuis l’an passé ; aussi, à voir leur grosse flotte qui croise au large depuis deux heures de relevée, on ne saurait douter plus longtemps de leurs intentions. On peut croire qu’ils vont attaquer notre ville au moment propice.

— J’en ai bien peur, dit le vieux devenu pensif.

— Moi, dit Aurèle à son tour, je suis certain que les Anglais ne sont point venus ici par simple amusement.

— Très juste, mon cher Aurèle, il n’est rien de bien amusant pour eux dans nos parages. Tout de même, on peut se demander quel mal ils pourraient nous faire. S’emparer de Louisbourg ? Ils ne le pourraient pas. Et quels risques inutiles ne courent-ils pas à vouloir s’en prendre à notre forteresse ? Pour nous, le seul mal qu’ils puissent nous faire se résumera à nous envoyer quelques boulets et quelques bombes. Et encore faudra-t-il qu’ils attendent le décollage et la dérive des glaces, car leurs canons, sauf erreur, ne pourraient nous atteindre de la position qu’ils tiennent à cette heure.

Il n’y a pas de doute que, en son tréfonds, Olivier était moins rassuré qu’il n’en avait l’air ou que ses paroles pouvaient le faire penser, et s’il parlait ainsi avec cette confiance et cette assurance, c’était probablement pour dissiper les inquiétudes qu’auraient pu entretenir ses hôtes.

Le capitaine prit la parole à son tour :

— Comme je le disais tout à l’heure, il se pourrait bien, avec le vent et la mer qu’il fait, que les glaces lèvent et décollent dès demain.

C’est bien possible, admit Olivier. En tout cas, je ne crains pas de dire que les Anglais seront bien reçus, s’ils approchent de nos murs.

— Comme ça, dit le capitaine, ça ne t’inquiète pas beaucoup que les Anglais soient là ?

— Pas le moins du monde, répondit le jeune homme avec assurance. Tout ce que je crains, c’est que leur présence dans nos eaux ne dérange nos projets. Avec ces navires ennemis qui barrent le chemin, nous ne pourrons pas commencer notre saison de pêche aussi de bonne heure que nous l’avions espéré.

— Voilà bien ce que je me dis aussi, mon garçon, depuis qu’on m’apprend que les Anglais sont là. N’est-ce pas désolant ! Moi qui pensais de pousser l’Aurore dans le vent ces jours prochains ! Ce ne sont pas les glaces qui nous embêtent le plus, puisqu’il ne suffit que d’un bon vent et d’une forte marée pour les emporter. Ces sacrés Anglais vont nous gâter toutes nos affaires.

Et le vieux soupira avec un air de grande déception, tout en rallumant sa pipe à un tison du foyer.

Pendant que les trois hommes s’entretenaient ainsi, Louise et sa mère achevaient de desservir et se mettaient