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la seconde suivante, tombait percé de part en part par sa bonne lame.

Il demeura inanimé dans une large mare de sang.

Thérèse venait de s’évanouir, et elle demeurait inanimée elle aussi.

Mais les soldats et leur chef ne parurent pas s’occuper de Thérèse, ils se précipitèrent vers le cadavre du capitaine…

Au même instant, par la porte du fond demeurée entr’ouverte, apparut un homme, un inconnu également masqué, à qui les soldats tournaient le dos et qu’ils ne virent pas. Cet homme s’approcha sur la pointe des pieds de Thérèse, il la souleva doucement dans ses bras, regagna la porte et disparut.

Mais au moment où cet homme franchissait le seuil de la porte Thérèse avait poussé un profond soupir.

Les soldats et leur chef se retournèrent vivement. D’abord ils ne virent rien. Mais soudain le chef poussa un cri inarticulé, se redressa et bondit vers l’endroit où il avait vu, la minute d’avant, la jeune fille évanouie.

— Dieu me damne ! vociféra-t-il en arrachant de rage son masque, il est venu ici quelqu’un qui a enlevé notre proie !

Et cet homme, qui n’était autre que le major Whittle, lança un poing menaçant vers le ciel.


III


Whittle avait congédié ses complices, après que le corps d’Aramèle fut jeté dans un trou creusé dans la cave du bâtiment solitaire. Et lui-même, écumant de rage et très inquiet au sujet de la disparition de Thérèse, avait regagné son logis. Il devinait qu’un homme avait eu vent de la trame ourdie contre Thérèse et le capitaine, que cet homme avait été peut-être témoin du drame, et qu’il avait sauvé Thérèse. Donc, si telle était la vérité, cet homme, cet inconnu, demeurait un témoin dangereux contre lui. Que faire ?…

Lorsqu’il arriva chez lui, le major trouva Mrs Whittle pâle, agitée et en compagnie de Sir George Parks.

— Eh bien ? interrogea avidement Parks en voyant entrer le major.

— C’est fait, répondit sourdement celui-ci, Aramèle n’est plus !

Il fit le récit de la tragédie qu’il termina en mentionnant la disparition mystérieuse de Thérèse.

En apprenant ce dernier incident, Parks se leva vivement, troublé et agité, et dit :

— Whittle, si votre hypothèse est fondée, je vous engage à fuir immédiatement. Car vous avez été espionné et suivi, et je crains qu’un personnage très important n’ait été témoin de cette affaire.

Le major se mit à trembler.

— Fuir ! grogna-t-il. Mais où aller ?

— N’importe ! répliqua Parks, Allez en Nouvelle-Angleterre, passez la mer, allez où vous voudrez, mais ne restez pas ici si vous tenez à votre tête !

— Et vous-même ? interrogea le major en dardant sur Parks un regard soupçonneux.

— Oh ! moi, je suis bien tranquille. Je viens de quitter Murray, et jamais l’on osera me soupçonner de complicité.

— Mais ma femme ? demanda encore Whittle plus défiant.

— Fuyez, mon ami ! soupira Mrs Whittle en fondant en larmes. Bien qu’avec regrets, je resterai ici et je prétendrai, pour protéger votre fuite, que vous avez été assassiné. Plus tard, lorsque tout sera devenu tranquille, quand cet événement aura été oublié, alors vous reviendrez, ou, si vous aimez mieux, j’irai vous rejoindre.

Le major se mit à rire avec sarcasme. Disons ici que Parks était divorcé d’avec sa femme depuis plusieurs années, qu’il était fortuné et âgé seulement de quarante-cinq ans, de sorte qu’il était fort possible qu’il pût y avoir complot entre lui et Mrs Whittle. C’est ce que soupçonna Whittle, d’autant plus que les deux complices s’obstinaient à lui conseiller la fuite.

Il se mit donc à rire. Puis il alla à un guéridon où se trouvaient des carafes remplies de liqueur et des coupes de cristal. Il vida une pleine coupe d’eau-de-vie, attira sa femme à l’écart et lui demanda à voix basse et menaçante :

— Pourquoi voulez-vous que je fuie ?

— Pour sauver votre vie !

— Qui nous dit qu’elle est en danger ?

— Mais… cet homme qui a enlevé la jeune Canadienne…

— Cet homme, je ne l’ai pas vu.

— Mais s’il vous a vu, lui ?

— J’étais masqué.

— N’importe ! mon ami, fuir est un acte de prudence que vous commandent les cir-