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— Je vous l’ai dit et redit : la France n’est jamais vaincue !


Fin de la troisième partie

Quatrième partie

LA MORT D’ARAMÈLE

I


La victoire éclatante d’Aramèle et la mort de Spinnhead avaient été un dénouement si inattendu, et ils avaient frappé d’un tel vertige la foule des spectateurs que, du coup, la fête se trouva terminée. Par groupes agités la masse du peuple quitta le lieu du combat pour rentrer en les murs de la cité, et l’on entendait une vague rumeur au-dessus de ces têtes. Rumeur de désappointement, de haine, de menaces d’une part ; de l’autre, c’est-à-dire du côté des groupes canadiens, rumeur de joie !

Le gouverneur et sa suite avaient attendu que le plus gros de la masse se fût retiré avant de regagner la cité. Pendant ce temps, les dames et les officiers commentaient la bataille. Un peu à l’écart le gouverneur et le duc de Manchester s’entretenaient à voix basse. Murray avait compris que la défaite et la mort de Spinnhead avaient fait naître quelque terrible haine contre Aramèle, car il avait cru saisir dans la foule compacte et grondante des menaces contre le capitaine. Il avait dit au jeune duc :

— Je crois bien, Milord, que ce pauvre capitaine est condamné à mort.

Le duc répliqua :

— S’il mourait victime d’un assassinat et que je connusse les criminels, je n’hésiterais pas à les faire exécuter sans merci.

— Est-ce un conseil, Milord, que vous me donnez ? puisque demain vous serez parti.

— C’est un ordre que je vous donne, Excellence, répondit rudement le jeune duc. Ce capitaine est un brave et c’est un gentilhomme qui vient d’honorer hautement son pays et sa race. Et je dis que c’est un gentilhomme parce que dix fois il aurait pu frapper à mort ce bretteur peu scrupuleux qu’était Spinnhead, et dix fois il l’a épargné, ne voulant que le désarmer. S’il a tué Spinnhead, à la fin, c’était pour protéger sa propre vie ; et encore le capitaine n’a-t-il pas frappé positivement, Spinnhead s’est pour ainsi dire enferré.

— J’admets tout cela, monseigneur, répliqua Murray, et je tiens à vous assurer que j’estime également ce capitaine Aramèle. S’il désire quelque poste important dans mon administration, je le lui donnerai, même s’il refuse toujours de reconnaître qu’il est en pays conquis.

— Mais il n’est pas en pays conquis, monsieur, interrompit durement le jeune duc. Nous n’avons pas conquis ce pays, nous l’avons acheté du roi Louis XV. Nous sommes ici des maîtres seulement par convention, nous ne le sommes pas par droit de conquête. Voilà pourquoi ce peuple que nous administrons ne cesse de réclamer l’accomplissement des clauses de la convention. S’il se savait conquis, il se soulèverait et il nous écraserait nous qui ne sommes ici qu’une poignée… Ah ! monsieur, depuis que je suis venu en ce pays, j’ai pu étudier suffisamment sa population et ses lois pour faire au roi un rapport exact de la situation. Or, ce peuple canadien, je l’ai trouvé soumis, et il demeure soumis parce qu’il est fatigué de la guerre d’abord, et ensuite parce qu’il espère toujours que nous nous soumettrons à la règle des conventions établies. C’est un peuple de paysans qui vénère son sol, il s’est fait ici une patrie qu’il chérit et qu’il est prêt toujours à défendre contre les ennemis du dehors comme ceux du dedans, et il le défendra même au nom et pour l’honneur de la couronne d’Angleterre. Eh bien ! ce peuple de paysans-soldats nous demeurera attaché si nous savons le bien traiter et lui rendre la justice à laquelle il se reconnaît un droit, un droit que nous lui avons nous-mêmes consenti par les traités. Monsieur, acheva le jeune duc qui s’était vivement animé, ce peuple nous est bien plus précieux que toute cette horde monstrueuse de commerçants et d’aventuriers qui ont envahi le pays après que nous en eûmes pris possession, ces gens n’ont aucun attachement à leur race ou à leur pays. Ils sont venus ici, non pour créer une patrie nouvelle à l’exemple de ces colons français, mais pour faire des affaires, pour s’enrichir le plus vite possible et s’en aller ensuite en d’autres pays jouir d’une existence facile.

Murray avait écouté très attentivement le jeune duc. Il demanda :

— Monseigneur, trouvez-vous que mon administration soit, en principe et dans