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Serres. Thérèse, aussi calme que le capitaine, se plaça derrière les trois hommes.

Et dans cette position nos amis attendirent l’événement.

Il se produisit comme un coup de tonnerre.

Des clameurs et des coups de feu venaient de se confondre sur la ruelle même qu’aussitôt la porte d’Aramèle volait en éclats comme sous le coup d’une massue, et la salle d’armes fut envahie par cinquante soldats, le fusil en avant, la baïonnette au clair. Un officier les commandait.

Derrière les soldats, et tassée dans la ruelle noire, une masse grouillante et hurlante du peuple s’agitait, se bousculait, vociférait comme si elle eût voulu pénétrer à la suite des soldats dans l’étroit logis.

Mais des soldats, sur l’ordre de l’officier, pointèrent contre la masse des baïonnettes menaçantes.

Puis cet officier, qui s’était arrêté devant l’épée haute d’Aramèle, cria :

— Déposez les armes !

Aramèle reconnaissait en cet officier un des lieutenants de Murray et un ami du major Whittle, Sir Georges Parks.

— Venez les prendre, mon ami, répliqua tranquillement Aramèle.

— Prenez garde que nous les prenions à des cadavres ! menaça Parks avec colère.

— C’est possible, rétorqua Aramèle, parce qu’on ne désarme pas des Français vivants !

— C’est bien, nous les désarmerons morts !

Et Parks, se tournant vers ses hommes, commanda :

— Couchez-moi cet homme seulement ! Quant aux trois autres, nous en viendrons bien à bout autrement.

À ce commandement donné d’une voix forte le peuple s’était tu, car l’affaire devenait maintenant une exécution, et une exécution crée l’attente et l’attente fait le silence.

Mais les soldats n’eurent pas le temps d’exécuter l’ordre reçu : Aramèle avait fait un signe à ses compagnons, quatre pistolets détonnaient en même temps et trois soldats anglais tombaient sur le plancher ; seule Thérèse avait manqué son homme qu’elle avait seulement blessé. Et celui qu’elle avait blessé n’était pas l’homme qu’elle avait visé, son pistolet avait été braqué sur Parks, mais celui-ci avait eu le temps de faire un bond de côté, et l’un des soldats placés derrière lui avait reçu la balle de l’orpheline dans l’épaule.

Une violente surprise avait du coup paralysé les autres soldats.

Parks jeta un cri de rage. Il voulut donner un nouvel ordre, mais il voyait quatre autres pistolets prêts à faire feu.

— Retirez-vous ! ordonna Aramèle.

Parks, comme s’il eût été saisi de peur, fit un bond en arrière de ses soldats et hurla :

— Feu en masse sur ces gueux de Français !

Mais cet ordre n’était pas achevé que les quatre pistolets de nos amis résonnaient encore et, cette fois, quatre soldats s’affaissaient, mortellement atteints. Puis, comme avec la rapidité de la foudre, le capitaine, Étienne et Léon foncèrent sur les soldats éperdus rapière au poing. Les épées se heurtèrent rudement contre les baïonnettes. Des coups de fusils éclatèrent, mais les balles se perdirent dans les murs. De sa rapière Aramèle avait réussi au premier choc à abattre deux autres soldats ; c’étaient donc neuf hommes, neuf ennemis hors de combat dans l’espace de deux ou trois minutes. Mais Parks finit par rétablir l’ordre et le calme dans les rangs de ses soldats à demi épouvantés. Et tandis que dix d’entre eux paraient de la baïonnette les attaques du capitaine et de ses deux compagnons, Parks arrangeait un peloton de dix autres soldats et leur commandait de mettre en joue Aramèle. Cette fois c’en était fait du courageux Français. Thérèse, qui demeurait spectatrice de la bataille et qui en surveillait tous les mouvements, vit le peloton et elle comprit que son père adoptif, et peut-être aussi son frère et son fiancé, oui elle comprit que leur vie ne tenait plus qu’à un fil. Elle eut une inspiration : s’élancer devant le peloton, tomber à genoux devant Parks et se reconnaître seule responsable de la mort du lieutenant Hampton…

Elle allait s’élancer…

Elle se contint en entendant une voix brève et autoritaire prononcer de la porte ces paroles :

— Bas les armes !

Les soldats tressaillirent, ils abaissèrent leurs armes et s’écartèrent vivement pour faire place au général Murray qui, en grand habit militaire, s’avançait au milieu de la salle. Derrière le général marchait, calme et fier, le jeune inconnu qui avait sauvé