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À son tour Thérèse fit le récit de son aventure.

Aramèle parut s’intéresser vivement à ce jeune étranger qui avait secouru l’orpheline si à propos. Il aurait voulu remercier ce généreux protecteur et le complimenter sur sa galanterie.

Oui, mais là il y avait un cadavre qu’on ne pouvait garder indéfiniment. Il y avait urgence à faire la déclaration aux autorités, afin qu’il fût tenu une enquête pour décharger nos amis de la responsabilité de cette mort. À cette époque, comme sous le régime français, on s’occupait peu de mort survenue au cours d’une bagarre ; quand il y avait cadavre, on enterrait celui-ci et tout était dit. La justice ne s’occupait que du meurtre pur et simple, et encore fallait-il qu’il y eut demande auprès des autorités pour rechercher le criminel. Si la victime n’était qu’un pauvre hère, la justice, sous le régime britannique comme sous l’ancien régime, ne se donnait nulle peine pour rattraper le meurtrier. Mais si, au contraire, la victime était de bonne classe, les autorités alors lançaient de suite des agents en campagne.

Aramèle n’éprouva donc aucune crainte d’être accusé de meurtre, attendu qu’il y avait eu bagarre et attaque d’une part et légitime défense de l’autre.

Vu que Hampton n’avait à Québec aucun parent à qui on pût rendre le corps, Aramèle résolut de le livrer aux autorités militaires et, dans ce but, il décida de se rendre directement auprès du général Murray pour lui rapporter tous les détails de l’événement.

Mais au moment où il allait sortir une longue rumeur s’élevait à la haute-ville et cette rumeur peu à peu paraissait venir et descendre vers la basse-ville. Aramèle écouta cette rumeur comme pour en déterminer la cause. Il ne saisissait que des cris confus, cris qui, de loin, ressemblaient au rugissement d’une masse de peuple en fureur. Qu’était-ce ?… Il le saurait bien, puisqu’il se rendait chez le gouverneur. Il sortit sur la ruelle-des-Cailloux et fit quelques pas sur la chaussée obscure. Il s’arrêta encore, parce qu’il croyait voir remuer dans l’ombre des silhouettes humaines. Et là-haut des clameurs grandissaient… maintenant on en pouvait entendre éclater vers la Porte du Palais. Quoi ! est-ce que cela venait dans la direction de son logis ?…

Puis des coups de feu retentirent dans la basse-ville, les clameurs redoublèrent, et ces clameurs étaient plus rapprochées de minute en minute. Les fenêtres des maisons voisines s’ouvraient précipitamment, des têtes effarouchées se tendaient dans la nuit, et Aramèle entendit des voix apeurées demander :

— Qu’est-ce donc qu’il se passe ?

Un tonnerre semblait rouler de la haute-ville à la basse !

— Voyons ! se dit le capitaine, je ne peux pas laisser ces enfants seuls, sans savoir au juste ce qui se passe ; il vaut mieux attendre.

Sans plus il retraita vers la porte de son logis où Léon se tenait, prêtant l’oreille aux bruits terribles de la ville.

— Que signifie tout ce vacarme ? interrogea Léon.

— Je me le demande également, répondit Aramèle. Est-ce une bagarre ? Est-ce une émeute ? À moins — et je suis bien près de le penser — que ce ne soient ces deux officiers qui accompagnaient Hampton et qui auront soulevé le peuple contre nous. Si mon hypothèse est juste, je ne serais pas surpris de voir bientôt tout un régiment d’infanterie envahir ma maison.

D’autres coups de feu éclatèrent non loin, cette fois, de la Ruelle-des-Cailloux.

— Pardieu ! s’écria Aramèle, c’est bien clair : le régiment d’infanterie approche. Mes amis, cria-t-il aussitôt, mettons-nous en garde !

D’effroyables vociférations emplissaient maintenant les abords de la ruelle, et Aramèle et ses amis purent voir des ombres humaines passer devant les fenêtres. Le capitaine ferma vivement ses volets pour empêcher les regards des curieux de pénétrer à l’intérieur de son logis, puis il barricada sa porte.

— Si c’est un régiment qui vient nous cerner, dit-il avec un sang-froid remarquable, nous saurons bien les recevoir.

Et il donna des instructions rapides et brèves comme s’il s’était trouvé sur un champ de bataille et en face de l’ennemi.

Thérèse releva son pistolet et l’arma de nouveau. Aramèle lui en donna un deuxième.

Outre leurs rapières Étienne et Léon prirent chacun un pistolet de la main gauche, et Aramèle lui-même avec un pistolet et sa rapière se plaça derrière : sa porte, avec à sa droite Étienne, à sa gauche Léon Des-