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Ce n’était pas l’instituteur modeste et soumis en face de son supérieur, c’était l’homme devant un autre homme.

Nous nous hasardons à dire qu’à cette heure où l’Empire tremblait sous les éclats effroyables de la foudre prussienne, cet humble soldat, qui irait bientôt, pour la défense et le salut de cet Empire, se jeter dans la mêlée sanglante, était plus élevé que le riche et puissant Spalding. À cette heure grave d’une lutte gigantesque où les fortunes, les rangs, les libertés étaient menacés, l’échelle sociale se trouvait modifiée, il nous semble, en ce sens que ceux qui en occupaient les plus hauts degrés devaient ou se sentaient forcés de rétrograder, pour faire place aux défenseurs de ces libertés.

Mais même avec ce sentiment ou cette vision, Jules Marion ne se fût pas élevé au-dessus de son supérieur, sa modestie l’en aurait prévenu. Il se contentait de se hausser jusqu’au niveau du piédestal sur lequel se dressait le millionnaire. Devant un homme Jules Marion voulait paraître un homme. Voilà tout.

En voyant le maître d’école pénétrer chez lui à l’improviste, en lui voyant cette attitude fière qu’il attribua à une insolente hostilité, Harold, sa première stupeur passée, se redressa, mais sans abandonner le corps inanimé de sa fille. Et il parla sur un ton de hautain mépris. Ah ! c’était affreux d’entendre ce père jeter de telles paroles pendant que sa fille mourait peut-être dans ses bras. Harold disait.

— Votre insolence dépasse les bornes, monsieur. Est-ce l’uniforme militaire qui vous fait forcer les portes d’une maison honnête ? Dites-moi donc si le pays a fait faire ces uniformes pour en vêtir nos soldats ou pour en costumer les cambrioleurs !

Sous cette insulte brutale Jules Marion ne sourcilla pas. Un sourire muet entr’ouvrait ses lèvres pendant qu’il observait son ennemi, comme s’il eut été certain de posséder l’arme qui pouvait le plus sûrement l’atteindre.

Harold eut un geste d’impatience.

— Répondez donc ! cria-t-il d’une voix tonnante. Êtes-vous un soldat ou un voleur ?

— Monsieur Spalding, répondit simplement Jules Marion, je suis un homme !

— Un homme ?… répéta comme un écho Harold dont la physionomie demeura interrogative.

— Un homme, poursuivit Jules d’une voix ferme qui vient dire à un autre homme que, en face du devoir à remplir, la rancune est oubliée et que cet homme désire s’en aller sans laisser derrière lui ni haines ni inimitiés. Monsieur, continua Jules, j’aurais pu vous demander plus tôt une explication ; car on ne chasse pas ainsi un instituteur qui a toujours fait scrupuleusement