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d’une belle-mère aveugle et maladive. Qu’est-ce qu’elle serait devenue, la pauvre, si je m’étais mariée ?

Voilà à peu près ce qu’était Angèle Marion.

Après avoir terminé le ménage de sa cuisine, elle vint s’asseoir à la table de la salle à manger, pour lire, selon sa coutume, le journal du soir.

L’aveugle venait de dire :

Angèle, lis-moi donc les nouvelles de la guerre.

Les nouvelles de la guerre !

Ah ! comme cette guerre effroyable allait répandre ses échos funèbres et sanglants jusqu’au sein des plus humbles logis !

Déjà Angèle s’apprêtait à se rendre au désir de sa mère, lorsque Jules parut.

— Eh bien ! s’écria Angèle, en voilà une heure pour venir souper !

— Ma chère Angèle, répondit Jules presque souriant, tu n’auras pas à te déranger : j’ai souper avec l’abbé.

— C’est ce que j’avais pensé, fit l’aveugle.

— Et vous, bonne maman, interrogea le jeune homme en s’approchant de sa mère, comment allez-vous ?

Il l’embrassa tendrement, pieusement.

Elle, avec un sourire heureux, répondit :

— Bien, mon enfant. Mes rhumatismes sont endormis. Je n’ai jamais été si bien portante.

— Ah ! tant mieux. Je veux tant que vous soyez toujours en bonne santé et toujours bien heureuse.

— Et toi, Angèle, ajouta le jeune homme en se tournant vers sa sœur, est-ce qu’on est à côté de son assiette, ce soir ?

— Qui te fait penser ça ? demanda Angèle sur un ton bourru.

— Rien ma foi. Seulement, tu ne m’as pas l’air bien contente. Est-ce parce que j’ai manqué le souper ?

Et il souriait tendrement.

Et elle, cette Angèle, ne voulant pas faire voir encore le sourire qu’elle réprimait à grand’peine, qui lui brûlait les lèvres :

— Grand fou ! penses-tu que ça me vexe de ne pas te voir au souper ? Au contraire, je suis contente. D’abord, de l’économie ; ensuite, un couvert de moins à nettoyer.

Cette fois, elle eut un demi-sourire.

Et lui, Jules, après les incidents de cette journée, lui, il avait le courage de rire !

Oui, il riait pendant que son cœur se fendait ! Pendant que son âme pleurait ! Pendant que ses yeux revoyaient l’image triste, désespérée et toujours adorée de Violette !

Il avait approché une chaise près de sa mère. Après avoir allumé une cigarette :