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seule mort qu’il pouvait accepter sans rougir, sans murmurer…

Et c’est ainsi que vers le milieu de la nuit suivante Jules Marion, profitant d’un moment où tout reposait dans l’hôpital — blessés infirmiers — Jules disons-nous sortait à pas furtifs et s’élançait dans la nuit d’hiver… vers le front… vers la mort glorieuse…


XVIII

EN FUITE !


Dans sa fuite, Jules a compté sans ses fortes physiques sans sa blessure à peine cicatrisée !

Aux premières aspirations de l’air vif du soir il a senti comme une nouvelle vigueur courir en lui… il était fort. Mais cette force n’était que factice.

À mesure qu’il avançait dans la campagne battant de ses pieds engourdis la mince neige qui recouvrait le sol il sentait son haleine manquer peu à peu ces jambes fléchir, ses pas moins sûrs et plus lourds.

Une transpiration abondante l’inondait…

S’il arrêtait deux minutes pour reprendre vent, le froid le saisissait : il grelottait, ses dents claquaient dans sa bouche.

Puis sa vue s’embrouillait : il ne distinguait plus les obstacles ou les trous que la neige dissimulait. Et il se heurtait à ces obstacles il trébuchait aux arbres renversés, tombait pour se relever plus faible et retomber encore dans des trous d’obus, — des trous qui lui paraissaient d’insondables abimes.

Mais plein de vaillance — avec l’honneur de la mort dégradante qu’il fuyait avec les formidables éclats d’artillerie là-bas qui l’attiraient — avec la vision des éclatantes et multicolores fusées qui zigzaguaient la noirceur d’encre du firmament — électrisé par ces clameurs enivrantes de la bataille qui font frémir d’ardeur les véritables héros les vrais guerriers les grands patriotes — Jules Marion se dardait comme avec furie vers le front !

Que vaut l’esprit sans la force physique !…

Et cette force finit par manquer tout à coup à notre ami… il vint buter contre un tronc d’arbre couché en travers de sa route, il étendit machinalement les bras perdit l’équilibre et tomba tête première vers quelque chose qui lui parut comme un précipice énorme un gouffre infini… Puis il demeura inerte, insensible… seul l’esprit vivait dans une chair inanimée.


Ce ne fut qu’aux premières clartés de l’aurore que Jules reprit possession de ses sens.

Ce qui frappa tout d’abord son ouïe… ce ne furent pas les grondements de l’artillerie ou les éclatements d’obus ou le crépitement de la mitraille — car tous les bruits de la guerre s’étaient éteint comme par magie. Ce qui frappa