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C’est-à-dire chasser cette fleur de son cœur, l’arracher de son souvenir, l’éloigner de sa pensée !

Ah ! s’il n’était pas un homme, comme il pleurerait !

Il pleurerait, comme il a vu pleurer tout à l’heure ses petits enfants, quand il leur faisait ses adieux. Oui, dans leurs petits yeux étonnés Jules avait surpris des larmes… ces larmes, il les avait vues peu après couler sur leurs joues pâles, et ces larmes d’enfant avaient rejailli sur son âme comme des laves brûlantes !

Ah ! crucifiement !…

Au moment où ces pensées torturantes assiégeaient l’esprit du jeune homme, celui-ci tout à coup, sentit une main peser sur son épaule.

Il tressaillit violemment, leva brusquement sa tête pâle, et balbutia ces mots avec surprise :

Ah ! c’est vous… monsieur l’abbé !

Mais en même temps aussi une lueur de joie et d’espoir parut illuminer ses sombres prunelles.

Un prêtre était là debout, tout près du jeune homme, et ce prêtre considérait avec une tendresse toute paternelle le pauvre maître d’école.


III

LE CONSOLATEUR


Ce prêtre, c’était l’abbé Marcotte.

Très grand, et d’une maigreur excessive, il ressemblait, serré dans sa longue robe noire un peu roussie par le temps, un peu luisante par l’usage, — dans cette robe noire qui moulait ce grand corps osseux et vieilli, mais plein de vaillance encore, — il ressemblait, disons-nous à un squelette vivant.

Et quelle figure !

Une figure, comme on dit, taillée en lame de couteau.

Une face terreuse, un teint bilieux, des lèvres décolorées… Mais une physionomie expressive, énergique et intelligente.

Oui, une figure osseuse, avec un crâne à cheveux blancs et longs rejetés en crinière sur la nuque.

Une chevelure léonine !

Et puis, sous un front haut, large et bombé, sous de très gros sourcils grisonnants, brillaient ardemment des yeux gris… rieurs et doux ou sévères et graves.

Enfin, son nez long, mince et droit, surplombait une bouche large aux lèvres pâles et un menton allongé et pointu.

C’était une de ces figures de douceur et d’énergie à la fois, au profil puissant, comme en ont consacré le souvenir certains estampes des siècles derniers.

Deux années auparavant la maladie avait contraint l’abbé Marcotte d’abandonner sa cu-