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qui lui raconte des choses à lui faire tourner la tête… à lui faire administrer à ses patients une dose d’arsenic pour une limonade… Et vous riez de ça, malheureux ?… Mais savez-vous que vous seriez aussi coupable qu’elle d’une telle méprise ?… Que dis-je !… mais ce serait un crime dont — puisqu’il y aurait de votre faute — un crime dont vous auriez à prendre la plus grosse responsabilité !…

Décidément, l’abbé était en verve taquine, ce matin-là, et Dieu sait s’il allait encore en débiter à son cher malade, s’il n’eût été soudain interrompu par Violette elle même, qui apportait à Jules sa potion bi-quotidienne ; une tasse toute pleine et toute tiède exhalant un arôme exquis.

— Décidément, mademoiselle Violette, vous allez me le gâter tout à fait !

— À l’arsenic !… dit Jules en riant et en clignant de l’œil à Violette qui ne pouvait comprendre.

— Oui, à l’arsenic ! appuya l’abbé avec un demi-sourire plein de malice. Mademoiselle Violette, ajouta-t-il tout bas, pendant que Jules sirotait sa potion, savez-vous que vous êtes une charmeuse ?…

— Comment l’entendez-vous, monsieur l’abbé ?

— En ce sens que vous allez mettre ce garçon sur pied en moins de quinze jours, — quand, sans vous, il en aurait eu pour au moins quatre semaines.

— Vous me le reprochez ? demanda Violette en riant.

— Assurément, puisque vous allez me le renvoyer au feu ric-rac et que… diable !… c’est que j’y tiens à ce garçon que j’ai élevé…

Et moi, donc, monsieur l’abbé !… dit Violette avec un sourire qui émut fort le bon abbé.

— Ainsi, dit-il, en entrainant Violette un peu plus loin, c’est donc vrai que je ne suis pas seul à l’aimer ?

— C’est vrai, dit Violette rougissante.

— Ah !… vous êtes la grande âme que j’avais toujours pensé, — et je regrette beaucoup mes torts à votre égard.

— Des torts ?… répéta Violette surprise.

— Oui… puisqu’il faut en convenir… puisque je fulminais contre ces amours à vous deux…

— Pourquoi ?

— Pourquoi ?… Pour toutes espèces de raisons… c’est-à-dire pour ce que je croyais des raisons…

— Mais encore ?

— Tenez ! poursuivit l’abbé en baissant la voix davantage, il y avait bien au moins une raison valable…

— Laquelle ?

— …qu’il est canadien et français !

— Et que je suis canadienne et anglaise ?…

— Vous voyez bien…