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— Est-ce là tout ce que tu redoutes ? demanda Jules gouailleur.

— Je ne redoute rien du tout, répondit Marcil. Seulement je trouve que c’est ridiculement bête de se faire assommer tout net dans un trou.

— Ah ! ah !… ricanna Constant… Est-ce que Monsieur Marcil désirerait un grand fait d’armes souligné d’une V.-C. ?

— Vous ne me comprenez pas, répliqua Marcil avec humeur.

— Explique-toi donc alors, s’écria le caporal Bédard qui n’avait pas encore placé son mot.

— Et bien, repartit Marcil tant qu’à venir crever à la guerre, je voudrais tout simplement crever avec la satisfaction d’avoir passé à travers une bonne charge à la baïonnette.

— Bravo, Marcil ! s’écria Marion.

— Il est fort probable qu’avant longtemps les Boches vont te donner cette satisfaction, retourna le caporal Bédard.

— Tu crois ? interrogea avidement Marcil.

— Je le crois et le souhaite, répondit simplement le caporal.

— Encore un brave ! applaudit Marion. Eh bien ! ajouta-t-il, moi aussi je l’espère, je la souhaite la charge, le vrai combat, la vraie bataille !

— Et moi donc !… s’écria Constant.

— Et moi… et moi… et moi… s’écrièrent vingt voix.

Mais à l’instant un fracas épouvantable retenti, le sol entier fut ébranlé, les étançons craquèrent sinistrement, trois ou quatre hommes furent projetés violemment contre les parois de la tranchée.

Il y eut des exclamations de stupeur, pendant que la bougie oscillait, tombait, s’éteignait ; et la confusion qui suivit se démêla au sein de lueurs terrifiantes qui tombaient de la nuit.

Fiat lux !… domina tout à coup la voix retentissante de Raoul Constant.

— Je tiens la bougie… répondit la voix de Jules Marion.

L’instant d’après le bout de cierge était rallumé et replacé dans sa niche.

— Et lux facta est !… articula sentencieusement Marcil.

— Mais la tranchée « bouleversa est » !… grogna le caporal Bédard avec une mauvaise humeur marquée.

Raoul Constant s’était précipité vers le point qui venait d’être atteint par l’obus boche.

— Personne de blessé ? interrogea-t-il.

— Personne !… répondit une voix.

— Tous sains et saufs ! prononça une autre.

— Troisième omelette ! fit Marion.

— Sans œufs encore ! ajouta Marcil en riant. C’est égal, les Allemands vont nous faire gagner notre déjeuner.