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cre qui régnait là, cette lumière suffisait pour guider le pas de l’homme, sans risquer de se casser quelque chose sur les barriques et les ferrailles.

L’inconnu grimpa les trois ou quatre marches d’un perron branlant, et, d’une façon toute particulière, il frappa trois coups dans la porte.

Tout aussitôt le filet de lumière disparut et la cour se trouva dans la plus grande obscurité. Puis, sans un bruit, sans le moindre grincement, la porte de la maison s’ouvrit lentement et l’homme pénétra rapidement dans l’intérieur.

Alors, une femme d’un certain âge recevait canne, chapeau et paletot de l’inconnu, plaçait le tout très délicatement dans un garde-robe voisin et disait en même temps d’une voix pas tout à fait rassurée :

— Ah ! monsieur Gaston… je ne vous attendais plus. J’allais desservir le dîner qui s’est refroidi.

— J’avoue que je suis un peu en retard, ma bonne Berthe, fit l’homme que la femme avait appelé « Messieur Gaston » : mais ce sont des affaires de toute urgence qui m’ont retenu. Mais bah ! je dînerai froid. Du reste, j’ai l’appétit si féroce que ça n’y paraitra pas.

Et, ce disant, il soulevait une portière pour entrer dans une petite salle à manger très proprette, bien éclairée par un bec à gaz, avec une petite table toute servie et ruisselante de blancheur.

Tout cet apprêt était simple, modeste… mais tout eût été digne d’un prince affamé.

Monsieur Gaston, auprès duquel s’empressait Berthe, se mit à dévorer à belles dents, peut-être mieux qu’un prince. Entre les bouchées il ne prenait que juste le temps de dire un mot à Berthe, de lui poser une question.

Maintenant, sa voix n’avait plus ce timbre sec et impérieux de tout à l’heure dans la demi-nuit de la rue de Rome. Cette voix, à présent, était douce, suave presque ; seul l’accent gardait son écho d’Outre-Rhin.

C’était un homme de taille ordinaire, ce monsieur Gaston, et d’un embonpoint fort respectable. Il était jeune encore : quarante années d’existence marquaient à peine l’étape de l’âge mur.

Son visage était très prussien par les accessoires suivants : une paire de favoris courts tirant sur le roux, et une moustache énorme, à peu près de même nuance que les favoris exhibait des pointes en crocs formidables.

Sous un front bas et large et sous des sourcils excessivement touffus deux petits yeux jaunâtres brillaient, perçaient, fascinaient. Il y avait de l’audace, du soupçon, de la crainte. Leur éclat, parfois, devenait insoutenable. Et