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Puis, recommandant à l’abbé le silence et le secret, il parla du guet-apens de Randall et du rôle joué par Pascal.

Il ajouta :

— Voyez-vous combien ma sotte jalousie m’a rendu aveugle et insensé ? Ce Randall aimait Violette, il me croyait un obstacle sur sa route, il a voulu me retrancher. Par hasard Violette surprend les machinations du docteur et elle tente de me sauver. Or moi, fou, triple insensé, je la soupçonne d’être l’amante de ce Randall, et je lui jette des choses brutales, affreuses… des choses abominables ! Je lui porte coups sur coups, blessures sur blessures ! Elle en mourra peut-être, vous dis-je, et c’est moi — oui, moi qui l’adore, — qu’elle accusera de sa mort ! Elle m’accusera… elle me maudira, moi qui l’aime au point de me vouer aux plus affreux tourments pour lui épargner un chagrin !

— C’est terrible ! murmura l’abbé pensif.

— N’est-ce pas ? Vous voyez bien que mon mal est sans remède !

À ces mots l’abbé se leva. Sa figure exprimait une solennelle grandeur. D’une voix profonde il dit :

— Le remède, Jules, je l’ai…

— Oh ! alors, monsieur l’abbé, s’écria Jules avec espoir, guérissez-moi ! Monsieur l’abbé, sauvez-moi !

— Ce n’est pas moi qui te sauverai, Jules ; c’est elle !

— Elle…

— Oui, elle, Violette, Jules, écoute : entre l’amour et le devoir, l’homme fort, l’homme bien né ne peut hésiter. L’amour est cher, c’est vrai ; mais le devoir mon fils, est sacré. Et ce devoir est autant plus sacré pour toi qu’il est double. Oui, devant toi se pose un double devoir à remplir : ton devoir de chrétien d’abord, ton devoir de patriote ensuite. Comme chrétien, tu as une âme à conquérir, une âme à sauver : comme patriote, tu as l’honneur de ta race à défendre. Songe qu’en renonçant au second tu faillis au premier. Fais ton devoir jusqu’au bout, ou renonce à Violette… il n’y a pas de milieu ! Car, à cette heure je pense connaitre assez celle que tu aimes pour savoir qu’elle refuserait d’unir sa destinée à l’homme qui aurait forfait à l’honneur, c’est-à-dire au devoir. Et, alors, Jules, dis-moi si tous deux, Violette et toi, vous ne souffririez pas de plus atroces souffrances ? Vous avez, l’un et l’autre, le même idéal et l’idéal c’est la force, c’est la colonne du Temple d’Amour. Que l’idéal de Violette s’efface, le temple s’écroule ! Que tu cesses d’être pour Violette le garçon vaillant et généreux qui forme la base de son idéal, tu disparais aussitôt de son souvenir, de son cœur ! Pour ne pas avoir accepté le sacrifice qui se présente à cette heure, tu auras fait ton malheur et le sien !