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I

LA MÈRE


— Hein ! père Brimbalon, ça fait joliment frisquet, cette matinée !

— Hé ! Hé ! père Bousquet, on sait que l’hiver s’en vient depuis deux bonnes semaines déjà. Voyez la neige qui blanchit déjà les Laurentides ! C’est donc qu’il va falloir se tenir le sang chaud en buvant une tassée de temps en temps.

— À votre service, père Brimbalon. Entrez, la cambuse est chaude et vide en ce moment.

Un vieux mendiant, tout recroquevillé et coiffé d’un bonnet à poil, venait de s’arrêter devant la devanture d’une taverne. Celle-ci avait pour propriétaire un certain « père Bousquet », d’âge problématique, lequel était en train, en cette matinée de novembre 1674, d’ouvrir les volets de sa boutique.

Le mendiant, du nom de Brimbalon, pénétra dans la taverne, sorte de taudis puant et obscur, et se fit servir une tasse d’eau-de-vie qu’il avala d’un trait.

Puis le tavernier et son client poursuivirent la conversation commencée sur la rue.

— Ça me dit, d’après mes rhumatismes, reprit le tavernier, que l’hiver qui s’en vient sera rude et long. Je plains les pauvres qui n’ont pas de bois dans l’âtre pour se chauffer.

— En ce cas, père Bousquet, vous devrez me plaindre le premier, pardi : car j’achève de brûler mes derniers fagots.

— Ah ! bien, par exemple, vous, père Brimbalon, je ne pourrais pas vous plaindre. Si vous manquez de fagots, c’est bien de votre faute. Quand on a de la roupiette plein ses coffres comme vous…

— Heu ! heu — père Bousquet, interrompit le mendiant, on croirait, à vous entendre, que les pauvres mendiants du bon Dieu sont tous des richards. Mais comment voulez-vous donc qu’à mendier un denier par ci par là on puisse acquérir des écus en quantité suffisante pour les entasser dans des coffres ? Jésus-Seigneur ! c’est à peine si on récolte assez chaque jour pour s’acheter une miche de pain et un cruchon d’eau-de-vie.

— Eh bien ! quand ce ne serait que cela… Ah ! père Brimbalon, combien de malheureux n’ont pas tous les jours la miche de pain et encore moins le cruchon que vous dites.

— C’est peut-être des fainéants, on ne sait jamais. On ne gagne pas son pain rien qu’à renifler l’air du ciel et de la terre ou à regarder marcher le soleil. Il y a bien des pauvres qui sont pauvres par leur propre faute, ils ne travaillent jamais. Plusieurs passent leur temps à flâner ou à critiquer les riches. C’est assez curieux, père Bousquet, mais ces gens-là n’ont pas l’air de savoir que les riches, eux, travaillent, et que pour devenir riches, ils ont commencé par travailler et ménager. Tenez, père Bousquet, voyez, par exemple, Son Excellence… ça travaille quasiment nuit et jour. Ça n’arrête jamais à bien dire. Pourquoi ? Je gage que vous