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LA FIN D’UN TRAÎTRE

passer de Son Excellence. Je vais donc aller prendre mon nouveau poste.

Mais avant de se rendre à ce poste, il pénétra dans sa chambre à coucher à quelques pas plus loin. Là, il se revêtit d’un ample manteau fourré, car le froid piquait vivement ce jour-là, prit un pistolet et un poignard, s’assura que sa rapière était en bon état et sortit.

Dans le corridor, il ne resta que le factionnaire chargé de veiller à la porte du prisonnier.

En bas, dans le vestibule, la valetaille s’était réunie par groupes et discutait à voix basse et confidentielle l’événement du jour.

Flandrin traversa le vestibule et alla se poster de l’autre côté du mur qui fermait la cour du Château.

Une quinzaine de minutes s’était écoulée depuis l’arrivée de l’abbé de Fénelon, que le valet de chambre de Perrot se présenta à la porte de ce dernier pour entrer. Il remarqua de suite l’absence de Flandrin.

— Tiens ! se dit-il, où diable peut bien être allé l’imbécile de Flandrin ?

Puis il dit au factionnaire :

— Son Excellence de Ville-Marie m’attend pour me remettre une lettre qu’elle désire faire tenir de suite à Monsieur le Comte. Mais je vois que Flandrin est absent. Voulez-vous vous charger de cette missive ? Il y aura pour vous une généreuse gratification.

Le garde acquiesça.

Le Chêneau entra chez le prisonnier et referma la porte. Le garde ne tourna pas la clef, attendant la missive. Quelques minutes se passèrent, puis le valet ouvrit la porte tendant la lettre destinée à Frontenac.

Le garde dit qu’il allait la faire parvenir de suite au Comte. Cette fois, après que la porte eut été refermée, il tourna la clef qu’il mit dans sa poche. Par cette lettre, qui n’était qu’un prétexte pour éloigner le garde, Perrot demandait au Comte la faveur d’un court entretien avec l’abbé de Fénelon, une fois la conférence terminée.

Le Chêneau demeura derrière la porte, l’œil collé au trou de la serrure. Il vit le garde frapper à la porte de Frontenac, puis un secrétaire du Comte ouvrir et introduire le factionnaire dans le cabinet.

Alors, il se redressa et dit :

— Excellence, le chemin est libre. Mais il n’y a pas de temps à perdre.

Perrot était prêt. Dans sa défroque d’abbé et avec la perruque noire que Le Chêneau avait ajoutée aux vêtements apportés, il était assez difficile de le reconnaître.

Le Chêneau prit une clef dans sa poche et ouvrit doucement la porte. Perrot sortit dans le corridor. Avant de s’éloigner, il dit :

— Adieu, mon ami. Quand tu seras libre, mon notaire à Ville-Marie te remettra la somme de cent mille livres.

— Allez, Excellence, et que Dieu vous protège. D’un pas rapide, Perrot se dirigea vers l’escalier conduisant au rez-de-chaussée.

Pendant ce temps, Le Chêneau courait à la chambre de son maître. Là, en quelques minutes, il se faisait la tête de Perrot puis revêtait ses habits. Après s’être regardé dans un miroir, il sourit et dit :

— Tout à l’heure, quand le sieur Perrot sera hors d’atteinte, je me ferai une meilleure ressemblance.

Puis il courut à la fenêtre donnant sur la cour du château pour surveiller le départ du prisonnier.

Si le Chêneau guettait ce qui se passait dans la cour du Château, déserte d’ailleurs, le Comte de Frontenac, tout en s’entretenant avec l’abbé de Fénelon, ne manquait pas de jeter de temps à autre un coup d’œil par la fenêtre près de laquelle il se trouvait assis.

Or, il semblait que Perrot n’aurait aucune difficulté à s’échapper du Château. Lorsqu’il atteignit le vestibule, les serviteurs, en voyant paraître cet abbé, pensèrent que c’était l’un des deux secrétaires de Monsieur de Fénelon que celui-ci avait chargé d’une mission quelconque. Perrot put donc arriver sans encombre à la porte de sortie qu’un portier lui ouvrit avec empressement et en se courbant avec le plus grand respect. Dehors, la cour du château était complètement déserte. Les deux factionnaires chargés de surveiller la porte cochère se chauffaient béatement dans leur guérite. Perrot était sauvé. Il traversa la cour rapidement. Mais quand il voulut franchir la porte cochère, un homme se présenta devant lui, rapière au poing, barrant la route.

C’était Flandrin Pinchot.

Comme on le sait, Flandrin s’était dissimulé de l’autre côté du mur, et s’il n’avait pu être aperçu des gens du château, de son côté il n’avait pu voir qui venait. Seul le crissement de la neige durcie sous les pas avait attiré son attention. Mais Flandrin avait ordre d’arrêter les huissiers et non les abbés.

Aussi, en voyant qu’il avait affaire à un abbé, il fit un geste de surprise, s’effaça vivement et bredouilla une excuse quelconque.

— Merci, mon ami, dit Perrot. Comme vous voyez, je suis l’un des secrétaires de Monsieur de Fénelon qui m’envoie en mission auprès de Monsieur de Laval.

Mais cette voix !…

Flandrin écarquilla des yeux énormes !

Et la voix avait tremblé, elle avait eu un accent incertain, et Flandrin croyait en reconnaître le son ! Pourtant, aucun des secrétaires de l’abbé de Fénelon ne lui avait parlé, et seule l’imagination de Flandrin lui faisait reconnaître une voix qu’il n’avait jamais entendue.

Mais voici que l’abbé franchissait la porte cochère… Flandrin ne pouvait voir ses traits nettement sous les larges bords du chapeau romain enfoncé sur le front et avec les oreillères qui protégeaient les oreilles contre le vent et le froid.

Et voici encore que l’abbé s’engageait sur la place du Château en accélérant le pas.

Flandrin n’y put tenir. Il bondit au-devant de l’abbé, lui barra le passage de sa haute taille et de sa rapière et demanda, soupçonneux :

— Monsieur le Comte vous a-t-il remis un mot de laisser-passer ?

— Non, mon ami, répondit Perrot avec trouble.

— En ce cas, il vous faut un laisser-passer… Et Flandrin, suivant l’impulsion de sa pensée,