Page:Féron - La fin d'un traître, 1930.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
LA FIN D’UN TRAÎTRE

Flandrin Pinchot gardait la porte du Comte, et un garde celle du sieur Perrot.

Flandrin ne fit aucune difficulté de laisser entrer la jeune femme. Elle avait dit simplement, d’une voix basse et sourde, que Flandrin n’aurait pu reconnaître :

— Monsieur le Comte m’attend.

Frontenac n’eut pas de peine à reconnaître la jeune femme.

— Excellence, expliqua-t-elle de suite, je n’ai pas voulu m’adresser à Flandrin Pinchot avant de vous avoir parlé.

Le Comte lui offrit un siège et lui dit qu’il était tout prêt à se rendre à ses désirs.

La jeune femme lui exposa ses craintes vis-à-vis de Flandrin qu’elle avait une fois poignardé ; et si Flandrin était tout prêt à donner volontiers tout son sang pour la fille de Maître Jean, d’autre part, il tirerait non moins volontiers tout le sang de Lucie. Or, elle qui avait eu de si grands torts envers Flandrin, pouvait-elle espérer qu’il entendrait sa prière de lui rendre son fils ? Non, elle ne le croyait pas. Au surplus, Flandrin, dans sa rancune, pouvait la percer de part en part de sa rapière.

Le Comte avait souri.

— Ma chère amie, dit-il, retirez-vous dans ma chambre un moment, je vais faire entrer Flandrin et lui parler.

La jeune femme gagna aussitôt la chambre du Comte adjacente au cabinet, puis le Comte alla ouvrir la porte du corridor et invita Flandrin à entrer.

En peu de mots, le Comte de Frontenac instruisit Flandrin de la double personnalité de Lucie ou de la fille de Maître Jean. Il lui dit que Louison, son fils adoptif, était l’enfant légitime de la fille de Maître Jean, et que celle-ci voulait ravoir son enfant. Et elle était venue pour implorer Flandrin de lui rendre Louison.

On peut aisément s’imaginer la figure que fit Pinchot en apprenant que celle qu’il avait aimée un jour comme une amante, celle qui l’avait frappé d’un coup de poignard, n’était autre en réalité que la fille de Maître Jean. Flandrin crut faire un rêve fantastique. Puis Frontenac lui ayant dépeint en quelque sorte la douleur de la jeune femme, ses nombreuses infortunes, et lui ayant affirmé que la jeune femme était toute prête à expier et réparer ses torts envers lui, Flandrin alors ne put résister aux appels de la générosité qui emplissait son cœur : il oublia sa rancune.

— Excellence, dit-il tout ému encore par le récit que le Comte venait de lui faire, je pardonne et j’oublie. Et s’il ne peut dépendre que de moi pour qu’elle reprenne son enfant, elle peut être sûre de le ravoir.

La jeune femme, qui avait tout entendu par l’entrebâillement de la porte de la chambre à coucher du Comte, accourut en pleurant de joie.

— Merci, Flandrin, merci, cria-t-elle. De ce jour, je vous devrai une reconnaissance éternelle.

— Madame, répondit Flandrin d’une voix tremblante d’émotion et en s’inclinant avec respect, je regrette cependant de vous dire que je ne suis pas le seul à consulter dans cette affaire. Il y a ma femme. S’il est vrai que vous avez un droit de mère, ma femme en possède un aussi : celui d’avoir élevé cet enfant et surtout de l’avoir aimé comme son enfant à elle. Il faut donc que vous alliez voir la Chouette et lui parler. Ah ! madame, ça va lui faire bien mal au cœur de se séparer de Louison… N’importe, si elle veut, je veux aussi.

— Et si elle ne veut pas… balbutia timidement Sévérine.

Flandrin se gratta le front avec embarras.

— Si elle ne veut pas… fit-il en hésitant… je lui parlerai, moi, et j’essayerai de la convaincre que Louison doit être rendu à sa mère. D’ailleurs, entre la Chouette et moi on s’entend toujours : ce que je veux, elle le veut comme moi ; et ce qu’elle veut, je le veux aussi.

Ces dernières paroles mirent au cœur de Sévérine le plus grand espoir.

— Merci, Capitaine, vous réconfortez mon pauvre cœur de mère. Croyez bien qu’il vous sera tenu compte de cette bonne action. Et croyez aussi que Louison ne sera pas perdu pour vous ni pour votre femme. Il ira vous voir souvent et il continuera de vous aimer comme avant. Ah ! oui, je lui recommanderai de vous aimer toujours… Adieu, Capitaine !

La jeune femme se retira accompagnée du Comte de Frontenac qui se rendait à la salle des audiences.

— Espérez, dit-il seulement à la jeune femme en se séparant d’elle dans le vestibule.

Ah ! oui, elle espérait. Puisque Flandrin voulait, sa femme voudrait aussi, ainsi qu’il l’avait dit lui-même.

Et ce fut avec cet espoir qu’elle se rendit sans délai chez la femme de Flandrin Pinchot.

La Chouette demeura un peu surprise en voyant paraître dans son logis la jeune femme blonde qu’elle avait vue une fois chez Monsieur de Frontenac. Mais lorsque Sévérine lui eut dit le but de sa visite, elle se révolta. Ah ! non, jamais elle ne se séparerait de celui qu’elle considérait comme son enfant ! Ah ! non… on lui ôterait plutôt la vie !

Sévérine voulut insister, mais la Chouette fut intraitable.

Alors, la pauvre mère, venue avec un cœur tout débordant d’espoir, se retira plus désespérée que jamais.

Il lui sembla que son enfant était à jamais perdu pour elle. Et elle crut qu’elle marchait à la mort… à la plus horrible des morts.

Mais quelqu’un allait lui remettre dans l’âme encore un peu d’espoir. En effet, elle rencontra le mendiant Brimbalon à qui elle confia l’échec qu’elle venait de subir chez la Chouette.

— Bah ! fit le mendiant, laissez donc faire. Patientez. Moi, je suis certain que vous l’aurez votre enfant. Est-ce qu’il n’y a pas une loi et une justice dans ce monde ? Eh bien ! Monsieur de Frontenac vous le rendra votre petit Louis, car il a le pouvoir de le faire. Espérez ! Espérez, chère dame !

Oui, la jeune femme pouvait espérer encore… elle pouvait espérer toujours. Et ce fut d’une démarche plus allègre qu’elle poursuivit son chemin vers sa demeure.

Elle se disait :