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LA FIN D’UN TRAÎTRE

Puis, elle put balbutier dans son bonheur :

— Mon enfant… mon bel et cher enfant… tu viens de me faire la plus heureuse des mères ! Je me doute bien, ajouta-t-elle et en desserrant un peu son étreinte, que je t’apparais comme une étrangère, nous avons été séparés si longtemps, et tu étais si jeune et si petit… Mais tu m’aimeras aussi et autant que je t’aime, puisque je serai si bonne pour toi ! Nous allons vivre bien heureux tous les deux. Je te ferai instruire, et tu feras un homme dont je veux être fière plus tard.

— Mais, madame…

— Oh ! mon Louis… pour l’amour de Dieu ! ne m’appelle donc plus madame. Tu fais mal à mon pauvre cœur. Dis-moi… maman !

— Oui, mais l’autre…

— L’autre ? Tu veux dire… Ah ! oui, je te comprends… Mais elle n’est pas ta mère, je te le répète.

— Et le Capitaine Flandrin…

— Il n’est pas ton père, tu le sais bien.

— Oui, je sais. Un jour, je le lui ai dit, que je n’étais pas son enfant… et je l’ai dit à celle que j’appelle maman. Oh ! que je les ai peinés tous deux ! Je les ai interrogés sur mes parents. Ils m’ont répondu qu’ils ne les connaissaient pas, mais qu’il m’aimaient comme leur enfant. Alors, je les ai aimés comme mes parents… Ils étaient si bons pour moi !

— Oui, ce sont de braves gens. Je saurai les récompenser pour m’avoir conservé mon enfant comme je le retrouve.

— Pourtant, puisque vous êtes ma mère… je dois avoir un père aussi ? dit Louison naïvement et avec hésitation.

— Un père ?… bredouilla la jeune femme.

Elle se sentit prise au dépourvu. Cette question d’un adolescent de 15 ans la surprenait. Mais pourquoi cette surprise ? La question était si naturelle, surtout chez un adolescent qui allait au collège, qui s’instruisait, qui devenait un homme de jour en jour. Si la jeune femme se sentit embarrassée par cette question à laquelle elle n’avait pas songé, il fallait quand même y répondre. Mais pouvait-elle dire la vérité… toute la vérité ? Non, elle n’oserait pas ! Il fallait mentir encore un peu, quitte plus tard à avouer la terrible vérité.

— Écoute-moi bien, mon enfant, dit-elle d’une voix mal assurée. Ton père, je ne sais pas trop ce qu’il est devenu. Il était parti un jour en exploration avec d’autres hommes. Il voulait gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Il pensait de revenir bientôt. Mais deux ans se passèrent sans nouvelles de lui. Je m’informai, mais personne ne pouvait me renseigner sur son compte. Des gens qui l’avaient connu ont pensé qu’il avait trouvé la mort dans les profondes forêts où il s’était aventuré. Je venais de te donner le jour, lorsqu’il me quitta. Juge de mes inquiétudes et de mes souffrances durant ces deux années. Qu’allais-je devenir seule et sans moyens de vivre ? C’est alors que je décidai de me séparer de toi pour pouvoir gagner ma vie, amasser quelque chose et ensuite te reprendre et assurer ton avenir. Or, voilà plus de douze ans passés depuis ces jours affreux, et ton père n’est pas revenu. Il ne doit plus être de ce monde. Oublions désormais ce triste passé, ne songeons qu’à l’avenir. Pour moi, je suis contente que tu me sois rendu, mon cher Louis, et rien ne nous séparera plus. N’est-ce pas ? mon bel enfant.

— Mais je ne peux pas rester avec vous… fit timidement l’écolier qui redoutait d’infliger une nouvelle souffrance à cette femme malheureuse qui se disait sa mère.

— Tu ne peux pas rester, dis-tu ?

— Il faut que je retourne auprès de ma mère adoptive…

— Et ta mère… ta vraie mère, vas-tu la laisser seule ?

— L’autre aussi est seule à présent. Elle a perdu son petit l’été passé. Son mari demeure jour et nuit au Château auprès de Monsieur le Comte de Frontenac. Oui, elle est seule, toute seule, et si je la quitte, elle en mourra peut-être.

— Et si j’allais mourir de ne pas te voir vivre près de moi ?

— Ah ! non, non, vous ne mourrez pas. Tenez ! si vous voulez, je viendrai vous voir de temps en temps avec maman Chouette.

— Non ! non ! je veux que tu restes… que tu restes toujours.

— Je ne peux pas, madame…

— Ah ! mon Dieu ! gémit la jeune femme, il me dit encore madame à moi, sa mère ! Écoute, mon Louis, poursuivit la jeune femme en réprimant sa douleur, tu es mon fils par les lois naturelle et civile, tu es né de ma chair, tu es mon bien, tu es désormais ma vie et mon unique bonheur. Priveras-tu ta mère de cette vie, de ce bonheur ? Non, tu ne le pourrais pas, et c’est pourquoi tu vas demeurer avec moi. Je te garde… je garde ce qui m’appartient !

— Non ! Laissez-moi m’en aller !

— Tu ne m’aimes donc pas ?

— Je vous aimerai bien si vous me laissez m’en aller chez maman Chouette !

— Non, tu n’aimes pas ta mère… je le vois bien ! N’importe ! tu m’aimeras. Mais tu vas rester, veux-tu ? Écoute encore : tous les jours nous irons voir la Chouette. Ou, si tu le désires, j’irai la chercher et elle restera avec nous. Veux-tu ? Moi, je veux tout faire pour te garder et t’aimer comme je veux t’aimer et comme je veux que tu m’aimes aussi. Veux-tu ? Dis…

— Maman Chouette ne voudra pas…

En face de cette obstination de l’adolescent, Sévérine sentait son cœur se briser de seconde en seconde. Hélas ! elle n’était plus la mère de cet enfant, une autre femme avait su conquérir, par sa bonté et son dévouement le cœur de l’enfant. Elle n’entrevoyait aucun moyen pour reconquérir l’amour de son fils. Et à moins que Dieu ne voulût faire un miracle en sa faveur, la jeune femme se voyait condamnée à une éternelle séparation d’avec l’enfant qu’elle aimait par-dessus tout.

Du coup s’envolèrent tous les espoirs qu’elle avait nourris. Elle retombait dans le gouffre affreux de ses désespérances. La vie qui s’était éclairée un moment s’assombrissait de nouveau. Tous les horizons de l’avenir se fermaient sur elle. Elle sentait qu’une malédiction pesait sur sa tête, et il ne lui restait plus qu’à se laisser glisser dans le néant. Et, oubliant son fils sur