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LA FIN D’UN TRAÎTRE

porté à la pitié pour ceux-là qui souffrent comme nous, et alors on fait tout ce qu’on peut pour les soulager de leurs chagrins. C’est pourquoi, chère dame, ce soir je tâcherai de m’emparer de votre petit Louis.

— Et amenez-le moi… promettez-moi de me l’amener, père Brimbalon. Quand je l’aurai vu, quand je l’aurai embrassé, il me semble que je serai moins malheureuse. Et lui, quand il saura, quand il aura compris que j’ai bien souffert, que je souffre encore, et quand il aura bien vu, bien senti que je l’aime de toute mon âme, peut-être, alors, me pardonnera-t-il ! Peut-être m’aimera-t-il en retour !

— Il vous aimera, c’est certain. Je pourrais en faire le serment. C’est donc entendu, je vous amènerai le petit après sa sortie du collège. Je me retire, chère dame, en vous souhaitant espoir et courage. À ce soir… à ce soir… vous verrez votre enfant et vous l’embrasserez…

— Je vous bénirai le reste de ma vie, père Brimbalon.

Le mendiant s’en alla. S’il n’avait pas vendu de bonheur, il venait de laisser dans le cœur désespéré d’une mère un grain d’espoir, et peut-être aussi, sans le savoir, une semence de bonheur !…

II

L’ÉCOLIER.


Pendant toute cette journée, la jeune femme demeura inquiète, agitée et au guet. Elle s’imaginait à chaque instant voir apparaître le mendiant lui amenant son jeune fils. Car elle avait grande confiance en ce mendiant, bien qu’elle le connût à peine. Mais Brimbalon avait un droit à la confiance et à la gratitude de la jeune femme. Un jour, il l’avait arrachée des mains d’un homme qui, par vengeance, voulait sa mort, et cet homme était son mari, René le Chêneau. Il est vrai de dire que la jeune femme avait remis au mendiant la somme de deux mille livres. Le service avait été fort bien payé, et le mendiant ne s’en était pas plaint, loin de là. Il est vrai encore, ainsi que pouvait le penser la jeune femme, qu’un autre aurait pu exiger davantage. Et le mendiant avait été pour elle plein d’égards, il l’avait soignée avec un grand dévouement, un jour que, par désespérance, prise d’un accès de folie dont elle ne pouvait encore se rendre compte, elle avait enfoncé dans sa poitrine la lame d’un couteau.

Avec quelle douleur et quelle épouvante elle se rappelait cette scène terrible ! Oui, le mendiant, après l’avoir délivrée d’un taudis où elle était retenue prisonnière sous la surveillance d’une sorcière et par les ordres de son mari, l’avait emmenée dans sa pauvre baraque. C’était la nuit. Au matin suivant, elle avait vu passer sur la rue un bel adolescent. Elle avait de suite remarqué ses longs cheveux d’or, des cheveux qui ressemblaient aux siens, et c’était un adolescent qui avait tous ses traits… Ah ! oui, c’était bien son enfant dont on l’avait séparée un jour, il y avait de longues années. Par un certain hasard et en des circonstances que la jeune femme ignorait, Flandrin Pinchot avait adopté l’enfant. Et elle l’avait vu une fois, déjà, cet adolescent, et elle l’avait reconnu… c’était par une nuit tragique, inoubliable, au pied de la potence de la rue Sault-au-Matelot. Son cœur de mère, endormi depuis longtemps par la pensée que l’enfant était mort, s’était réveillé soudain. Elle avait voulu revoir cet enfant, et pas de jour ne s’était passé, depuis qu’elle n’y eût songé. Mais où vivait-il ? Sous quel toit habitait-il ? Qui l’avait pris sous sa garde et ses soins ? Elle n’avait pu le savoir. Une autre fois, elle l’avait revu dans le logis de Flandrin Pinchot… Ah ! c’est donc là qu’il habitait !… Oh ! comme elle sentit son cœur battre de joie… Oui, mais l’adolescent l’avait brutalement chassée du logis de son père adoptif. Cruel souvenir ! Et ce souvenir demeure là, cuisant encore, que pour la troisième fois son enfant lui apparaît. Elle le voit passer devant la baraque du mendiant Brimbalon où elle a trouvé un refuge temporaire. Elle le reconnaît bien encore rien qu’à son cœur qui éclate. Elle court à la fenêtre, l’ouvre, se penche et appelle l’enfant. Peut-il se douter, lui, qu’en cette cambuse de mendiant, sa mère est là ?… Il s’arrête, se retourne, aperçoit cette femme blonde échevelée, son visage émacié, ravagé par la souffrance, ses yeux hagards qui étincellent de folie, et il a peur… il s’enfuit ! La malheureuse mère comprend, enfin, que son enfant ne l’aime pas, que son enfant la fuit, qu’il la maudit peut-être… Alors, c’est le désespoir qui tuera !

Elle ne sut pas diriger avec précision le couteau dont elle s’était frappée, et elle échappa à la mort. Pourquoi, hélas ! revenir à la vie ? Comment reprendre une existence qui n’offrira désormais que chagrins, amertumes, désespoirs ? Pourtant, elle peut espérer encore quelque joie, car le mendiant Brimbalon lui a promis qu’il s’occupera d’elle, qu’il lui amènera son enfant un jour ou l’autre.

Depuis, trois mois s’étaient écoulés, et Brimbalon n’avait pas amené l’écolier en la maison de sa mère. On sait, maintenant, les raisons qui avaient empêché le mendiant de tenir sa promesse.

Mais aujourd’hui, les circonstances allaient peut-être le favoriser, et il trouverait le moyen d’aborder le collégien et de l’amener à la petite maison de la rue du Palais.

Toute cette journée, Sévérine tint ses yeux rivés sur la pendule trop lente. L’écolier ne quittait le collège qu’à cinq heures, c’est vrai, mais si un hasard l’en ramenait plus tôt ? Aussi, à chaque bruit de la rue, la jeune femme courait à une fenêtre, écartait le rideau d’une main tremblante et jetait sur la rue un regard troublé. Mais non… ce n’étaient que passants inconnus ou indifférents.

Désappointée dans son attente et son espoir, elle soupirait tristement, retournait près du feu, consultait pour la millième fois la pendule et retournait au gouffre insondable de ses pensées.

Ah ! oui… qu’elle fut longue, inachevable, cette terrible journée !

Mélie voulut bien distraire sa maîtresse, ou du moins essayer, mais peine perdue. Sévérine