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LA FEMME D’OR

la porte et désignait au jeune homme une méridienne.


II

OÙ L’OISEAU S’ENVOLE


Oui, Alban Ruel venait de se sentir piqué par l’éternel et sournois aiguillon de l’amour.

Soudainement l’image de LA PETITE MODISTE s’était effacée de son esprit ! Soudainement aussi l’image qu’il avait devant lui l’hypnotisait !

L’amour qui lui sautait au cœur pour cette enfant charmante l’enivrait à ce point que, s’il n’avait pas été assis sur cette méridienne moelleuse, il eut été terrassé par l’ivresse.

La jeune fille allait par l’atelier, arrangeant ceci, déplaçant cela. Tantôt c’était un mannequin qu’elle avançait ou reculait. Tantôt c’était une robe d’un tissu extrêmement fin et de toute richesse dont elle arrangeait les plis. Alban la regardait aller, légère fugitive comme une ombre. Son petit soulier de satin noir ne faisait nul bruit sur le tapis de linoléum. Le reporter l’admirait, à la fin, avec un sourire extatique à ses lèvres.

Aussi, eût-il voulu plus de lumière dans cet atelier trop sombre ! C’était presque une demi-obscurité et il ne pouvait voir dans toute sa radieuse beauté l’enfant qui, parfois, en passant devant lui, le frôlait de sa petite robe soyeuse. Et chaque fois elle laissait derrière elle un parfum si exquis que l’enivrement du journaliste devenait une soûlade.

Sur la méridienne il chancelait.

Une fois la jeune fille en repassant avait heurté le pied d’Alban, elle lui demanda pardon avec un tel sourire que, par crainte de tomber ou de s’écrouler sur la méridienne, le jeune homme s’appuya du coude sur une pile de coussins.

La jeune fille ne parut pas remarquer l’émotion violente de son visiteur. Elle continuait d’aller çà et là retouchant dix fois la même chose.

Mais cela devenait très gênant à la fin pour le reporter. Vingt fois il avait voulu engager une conversation quelconque, et vingt fois il n’avait su trouver une parole. Chaque chose qui montait à ses lèvres lui semblait une sottise.

Mais il avait l’audace et le cœur, comme il se l’était avoué ; il fit donc un suprême effort, une fois, et il parvint à poser cette question :

— Mademoiselle Buchet est-elle une bonne patronne pour vous ?

— C’est la meilleure ! répondit la jeune fille.

La glace était brisée.

Alban reprit en se raffermissant sur la méridienne :

— Vous l’aimez ?

— Elle est si gentille !

La jeune fille venait de s’arrêter près d’une table sur laquelle s’étalaient des cahiers de modes ouverts ou fermés. Elle demeurait de profil, ses mains derrière le dos s’appuyant au bord de la table. Souriante et rougissante, elle restait les yeux fixés au plancher, tandis que son petit pied droit dessinait des figures imaginaires sur le linoléum. Ainsi, ravissante au suprême, elle paraissait attendre que son hôte lui fit une autre question.

Alban aurait voulu la voir assise à ses côtés, mais il ne savait comment s’y prendre pour l’amener à lui. Si la jeune fille eût été à sa place, cela lui eût été facile, sans faire montre de forfanterie, de solliciter une place.

Pourtant, le journaliste était entreprenant ; mais la gène très marquée de la jolie enfant lui communiquait un trouble qu’il ne pouvait aisément vaincre en dépit de toutes les audaces qu’il se sentait au cœur.

Pour se donner une nouvelle contenance il se leva, s’approcha d’un mannequin revêtu d’une belle robe de soirée, faite d’un tissu qu’il pensa être du crêpe de Chine. Il se mit à examiner cette robe tout en la tripotant du bout des doigts.

— C’est une magnifique robe ! prononça-t-il.

— Vous trouvez ?

— Décidément, mademoiselle Buchet est une artiste !

— Cette robe n’est pas l’œuvre de mademoiselle Buchet.

— Non ?… Je vous demande pardon ! N’importe ! c’est une artiste qui a fabriqué cette robe !

— C’est moi, monsieur !

Alban se mit à rire.

— Je le savais, répliqua-t-il.

— Vous le saviez ? fit la jeune fille avec surprise.

— Je savais que seuls vos jolis doigts pouvaient créer cette merveille !

— Monsieur, vous me…

— Je savais… oui, mais… je n’osais tout d’un coup, comme ça, à vous qui m’êtes inconnue, adresser mes compliments. Vous comprenez ?

La jeune fille ne fit que sourire.

Près de la table contre laquelle elle s’appuyait se trouvait une machine à coudre. Sans paraître laisser voir ses intentions, le jeune homme alla s’y asseoir. Il se trouva ainsi à une longueur de bras de la belle enfant.

Il attira à lui un cahier de modes et se mit à le feuilleter.

La jeune fille le considéra avec curiosité.

Le jeune homme parut s’attarder à une page qui semblait captiver son attention. À cette page s’étalaient les dessins de robes de bal.

La couturière rompit le silence.

— Je constate que vous avez du goût, monsieur, par ce que vous avez dit de cette robe. Elle désignait la robe que le jeune homme avait trouvée artistique. Pouvez-vous me dire, maintenant, quelle est la plus belle de ces robes que vous voyez là ?

— La plus belle ?… Mais c’est une affaire de goût.

— Il y a goût et goût !

— J’en conviens ; mais je ne suis pas un connaisseur.

— N’importe ! À votre idée ?

— Cela dépend beaucoup de la femme qui porte telle ou telle robe.