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LA FEMME D’OR

vez-vous quelque chose ?

— Non, rien, monsieur. Mademoiselle Buchet ne m’a rien dit.

— Je reviendrai donc un peu plus tard. Une heure, avez-vous dit ?

— Peut-être deux, monsieur, sourit encore la jolie enfant.

— C’est bien. Merci mademoiselle, et…

Il s’interrompit pour ravaler sa salive, remit son chapeau et descendit l’escalier, tandis que la jeune fille refermait la porte sans bruit.

Sur la rue, le jeune homme soupira avec effort.

— Diable ! la belle fille… Vraiment, elle m’a fait un effet… Qui est-elle ?… Je le saurai bien de LA PETITE MODISTE. Tout de même j’en veux pas mal à mademoiselle Buchet de n’avoir pas… Bah ! c’est égal, elle est charmante ma petite modiste ! Mais l’autre aussi, cette jeune fille… celle-là est simplement délicieuse !

Tout en monologuant ainsi Alban Ruel, sans s’en apercevoir se trouva à l’angle de la rue Saint-Dominique et de la rue Sainte-Catherine.

Il promena autour de lui un regard surpris.

À trois pas il vit la façade flamboyante du Théâtre-Français. Un monde fou se pressait devant l’entrée.

Ce soir-là, jeudi, Sarah Bernhardt jouait LA TOSCA.

Alban Ruel se dirigea vers le théâtre au moment où il venait d’apercevoir l’architecte, Paul Lavoie. Mais il s’arrêta tout à coup. Un léger éclat de rire venait de résonner à ses oreilles. Il se retourna brusquement, pâlit et chancela.

Une femme l’avait frôlé sans paraître le voir. Elle donnait le bras à un monsieur en fourrures qu’Alban ne put reconnaître, car déjà homme et femme étaient passés. Mais la femme… oh ! oui, c’était elle ! C’était LA PETITE MODISTE !

Une sourde jalousie étouffa les battements de son cœur.

Le joyeux couple se dirigeait vers l’Est. Sans réfléchir, Alban se mit à le suivre.

À l’instant où il passait devant le théâtre il se sentit tirer par un bras. Il tressaillit et reconnut le jeune architecte qu’il avait déjà oublié.

— Viens-tu entendre LA TOSCA ? demanda Lavoie.

— Chut ! souffla le reporter. Je file… je te retrouverai dans le cours de la soirée.

Sans plus d’explications il poursuivit son chemin, tandis que Lavoie pensait :

— Ce pauvre Ruel va certainement devenir fou avec sa FEMME D’OR et sa PETITE MODISTE !

Le reporter à ce moment, se souciait bien peu de ce que pensait ou pouvait penser son ami. Ce soir, il était sur des aiguilles ! Ce soir, ce n’était pas la curiosité de savoir qui était LA FEMME D’OR, c’était la jalousie qui le poussait à découvrir qui était le galant de LA PETITE MODISTE, qui, la veille, lui avait juré un amour éternel !

— Oh ! la coquette ! grondait-il… l’infidèle !

Il tourna sur la rue Saint-Denis peu après le couple qu’il ne perdait pas de vue.

LA PETITE MODISTE et son cavalier montaient vers la rue Demontigny.

Sur cette rue bientôt Alban les vit s’engager.

— Allons ! je la tiens ! se dit-il en grinçant des dents.

Sa jalousie devenait de la rage ! Sa rage devenait de la folie !

Il vit le couple s’arrêter une seconde devant la porte de LA PETITE MODISTE et disparaître.

Deux minutes ne s’étaient pas écoulées qu’Alban à son tour, entrait, montait l’escalier et frappait à la porte de l’atelier.

La jeune fille très blonde et très jolie vint lui ouvrir. Elle parut très étonnée en reconnaissant le visiteur de l’instant d’avant.

— Vous revenez un peu tôt, dit-elle toujours souriante.

— Un peu tôt !… Le reporter la considéra pour s’assurer si elle était sérieuse et sincère.

— Je vous ai dit une heure… deux heures peut-être !

— Mais…

— Vous aimez mieux attendre ?

Elle s’effaçait encore.

— Mais… bégaya le reporter excessivement ému et bouleversé, mademoiselle Buchet est revenue !

La jeune fille se mit à rire.

— Dites donc, monsieur, votre conduite me paraît étrange !

— Ma conduite !

— Je commence à penser que ce paquet que vous venez chercher… c’est une paille !

— Une paille !

— Pour me tromper.

Elle riait d’un rire ingénu, sans trouble. Peut-être était-elle moqueuse un peu, peut-être ironique !

— Je vous affirme, déclara Alban, que je viens de la voir entrer !

— Ici ?

— Vous ne l’avez pas vue ?

— Non… et il n’y a que cette porte.

— Vous étiez dans l’atelier ?

— Où voulez-vous que je fusse ?… je suis sa première couturière.

— Sa première couturière ?

— Oui.

— Et sa plus jolie, je gage ?

Avec la galanterie, l’audace revenait au journaliste.

La jeune fille baissa les yeux et rougit plus violemment que tout à l’heure.

— Voulez-vous entrer ? demanda-t-elle.

— Pour attendre mademoiselle Buchet ? certainement.

Et, tout en pénétrant dans cet atelier qu’un parfum puissant embaumait, Alban pensait :

— J’ai eu la berlue tout à l’heure… une hallucination sans doute ! Décidément j’ai trop d’imagination. Mais c’est égal, si mademoiselle Buchet se fait attendre, j’ai là de quoi attendre très patiemment… très gaiement même !

Et d’un coup d’œil sournois il détailla de nouveau la jolie fille, qui venait de refermer