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LA FEMME D’OR

âtre tomba dans l’obscurité : le rideau levait sur le deuxième acte de LA SORCIÈRE.

Alban Ruel n’eut pas conscience des scènes de ce deuxième acte ; pas une seconde il ne détacha son regard de la loge de la FEMME D’OR. Et à tout instant on aurait pu l’entendre murmurer :

— Oh ! cette femme m’attire… je sens que j’aime cette femme !

Après le deuxième acte dès la tombée du rideau, alors que toute l’assistance applaudissait avec une nouvelle frénésie, Alban Ruel sans un mot à son compagnon quitta son siège, et avant que les lumières fussent faites, se rua pour ainsi dire dans le passage menant à l’arrière de la galerie et de là se dirigea vers la loge de la femme mystérieuse.

Il dut se faire jour au travers des spectateurs qui, debout dans le couloir, formaient une masse presque infranchissable.

Enfin, après une lutte glorieuse, il arriva à la loge qui l’attirait si mystérieusement. D’une main fébrile il écarta les rideaux de l’entrée, puis il jeta à l’intérieur de la loge un regard ardent. Il tressaillit violemment, pâlit, recula, chancela….

La loge était vide !



II

DEUXIÈME APPARITION


Désappointé, la tête perdue, l’esprit en tumulte, Alban Ruel refit le chemin qu’il venait de parcourir, et sortit du théâtre afin de se rafraîchir et d’éclaircir ses idées.

Dehors il retrouva son ami l’architecte qui fumait une cigarette.

— Eh bien ? interrogea Lavoie.

— Rien… sa loge était vide.

— Sa loge était vide ! fit Lavoie avec étonnement.

— Tu ne l’as pas vue quitter sa loge ?

— Mais elle ne l’a pas quittée !

— Es-tu fou ? s’écria le reporter.

— C’est toi qui est fou, je pense. Je t’ai vu pénétrer dans la loge et j’ai vu la femme mystérieuse se lever pour te recevoir…

— Allons donc ! — tu as rêvé !

— Et alors, je suis venu t’attendre ici pour avoir des nouvelles.

Le reporter se mit à rire.

— Mon cher ami, dit-il nous avons rêvé tous deux, car la FEMME D’OR ne m’a pas reçu, par le simple fait qu’elle n’était pas là.

— Je n’y comprends plus rien, déclara l’architecte.

— Eh bien ! moi je crois comprendre que quand tu l’as vue se lever, c’était non pour me recevoir, mais pour sortir de sa loge.

— Mais par où diable aurait-elle pu passer ?

— Je me le demande.

— C’est mystérieux… Est-ce que cette femme possède le don ou le pouvoir de s’évaporer ! C’est peut-être une sorcière !

— Et heureusement qu’on ne soit pas au temps de l’inquisition ! se mit à rire Alban.

— Ma foi ! répliqua l’architecte en riant à son tour, il me semble que de reporter tu es en train de passer inquisiteur !

— Que veux-tu… je me sens attiré malgré moi vers cette inconnue. À propos, as-tu vu Audet ?

— Il est sorti au premier acte, et je ne l’ai pas revu.

— Gageons qu’il est à la poursuite de LA FEMME D’OR !

— C’est possible. Tu l’as joliment nargué et il a bien pu se formaliser. Il n’y a rien d’impossible qu’il tente tout pour pénétrer les secrets de cette femme et la conquérir pour lui-même après t’avoir fauché l’herbe sous le pied.

— C’est très possible, en effet, répliqua Alban en riant. Pauvre Audet ! je voudrais bien lui jouer le tour…

— Tiens ! fit tout à coup Lavoie, regarde…

— Quoi donc ?

— Cette femme qui passe sur le côté opposé de la rue !

Le reporter tressauta.

— C’est elle ! dit-il dans un souffle.

Un moment, il demeura comme médusé ! Il considérait la jeune femme, très gracieuse et très vive d’allure, marcher dans la direction de l’Est. Elle était toujours drapée dans sa mante d’hermine.

— Allons, murmura Alban, il ne faut pas qu’elle m’échappe cette fois. Après le théâtre Paul, tu m’attendras chez Gravel !

Et il partit à la suite de la femme inconnue, qui franchissait, à cette minute, la rue Cadieux. Le reporter laissa entre elle et lui une distance suffisante pour ne pas attirer l’attention de la jeune femme.

Celle-ci arrivée à l’angle de l’avenue Hôtel de Ville, traversa la chaussée et s’engagea sur cette avenue. Le reporter s’y engagea aussi peu après. Bientôt il vit l’inconnue tourner sur la rue Demontigny du côté de l’Est. Pour ne pas perdre de vue la jeune femme il prit sa course et arriva juste à temps pour voir celle-ci ouvrir une porte, donnant sur le trottoir, entrer et refermer la porte.

En quelques bonds, le reporter se trouva devant la même porte. Là, il s’arrêta un peu haletant et considéra la maison devant laquelle il se trouvait. C’était une maison n’ayant qu’un étage au-dessus du rez-de-chaussée. En bas, c’était une épicerie déserte et sombre à cette heure. Et là-haut l’unique étage était également sombre et silencieux. Alban Ruel prit une allumette et regarda le numéro au-dessus de la porte. Ce numéro était à demi effacé et illisible.

Il demeura hésitant pendant quelques minutes. Puis très doucement il tourna le bouton de la porte et poussé. À sa grande surprise la porte s’ouvrit. Il entra dans un petit passage très obscur donnant sur un escalier conduisant à l’étage supérieur. Là encore il parut hésiter.

— Allons ! se dit-il au bout d’un moment, je ne suis pas venu ici pour rien ! Je veux voir cette femme !

Il monta l’escalier en étouffant ses pas.

Après avoir conté seize marches il se trouva en face d’une autre porte.

Un moment il prêta l’oreille. Pas un bruit à l’intérieur. Il examina le trou de la serrure. Pas un filet de lumière.

Alors il se décida de frapper.

Il frappa trois petits coups légèrement espacés.