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LA BESACE DE HAINE

observa Pertuluis, nous aimons voir les marchés faits et terminés en toute probité.

— Ah ! ah ! se mit à ricaner Deschenaux. Vous appelez probité vous autres de réclamer de l’arpent que vous n’avez pas gagné.

— Hein ! Que nous n’avons pas gagné ? s’écria avec colère Pertuluis.

Du coude Regaudin poussa son compère et lui souffla :

— Baisse donc le ton, tu vas tout faire rater et peut-être, avec ça, nous faire écorcher vifs !

— Monsieur… voulut intervenir doucement Regaudin dans l’espoir de pallier l’effet qu’aurait pu produire le rude ton de son camarade.

Deschenaux l’interrompit.

— Mes compères, savez-vous la nouvelle que j’apprends ce matin ?

— Ventre-de-cochon ! grogna Pertuluis à l’oreille de Regaudin, il a appris l’affaire… Nous arrivons trop tard !

— C’est ta faute, Pertuluis, si nous arrivons trop tard !

— C’est ta faute, Regaudin, rétorqua Pertuluis.

— Tu n’as fait que flairer carafons après carafons !

— Tu n’as fait que te plaindre de ta soif !

— Tu me calomnies…

— Tu m’injuries…

— Regaudin…

— Pertu…

Tous deux levaient la main l’un sur l’autre.

— Que signifie ? s’écria durement Deschenaux. Je n’aime pas voir les chiens se mordre en ma présence.

Piteux et confus, les deux grenadiers joliment éméchés se turent et tournèrent vers le secrétaire de Bigot un œil soumis.

— Donc, continua Deschenaux, j’ai appris ce matin que Jean Vaucourt, ce blessé, dont je vous ai entretenus hier, se porte à merveille et qu’il est en ce moment sous les bons et dévoués soins des Sœurs Hospitalières. Et j’ai appris encore et avec une joie immense… oui, j’ai appris que ce chien de Flambard vous avait donné une fessée comme jamais l’histoire des fessées n’en relate jusqu’à ce jour !

— Monsieur, interrompit hautement Pertuluis repris de digne colère, apprenez à présent que nous n’avons fait que céder le terrain !

— Observez, dit à son tour Regaudin, qu’il y avait là dix gardes bien armés, sans compter l’homme de la charrette qui était armé d’un pistolet et ce chien de Flambard !

— Eh ! que ne l’avez-vous assommé ? s’écria Deschenaux, toujours railleur.

— Si nous ne l’avons pas fait cette nuit, répliqua Regaudin, c’est pour la bonne raison que nous lui ménageons quelque chose de mieux qu’une simple assommade !

— Ah ! ah ! fit Deschenaux.

— Nous nous sommes jurés, reprit Pertuluis, que nous verrions l’envers de sa peau, et pas plus tard qu’aujourd’hui ou demain !

— Vraiment ? s’écria Deschenaux. Eh bien ! mes braves, je vous donne libre jeu. Si vous pouvez me faire voir l’envers de cette peau de satan, il y a là dans ce tiroir mille livres qui sont vôtres. Allez, maintenant !

— Vous nous envoyez ainsi ? interrogea Pertuluis avec déception.

— Et nos cent livres ? s’entêta Regaudin.

Deschenaux se mit à rire.

— Au fait, se dit-il, ces deux coquins pourraient fort bien me devenir utiles plus tard. En attendant que je les fasse envoyer en enfer, il importe de les ménager.

Il ouvrit le tiroir de sa table, compta cent livres d’or et les remit à Regaudin, disant :

— Hier, j’ai additionné cent livres à votre camarade ; ce matin, c’est votre tour, prenez et allez ! N’oubliez pas qu’il y a ici mille livres pour vos goussets, le jour où vous me ferez voir l’envers de la peau de ce maudit Flambard.

— Monseigneur, répliqua Pertuluis en exécutant une longue révérence, je vous apporterai cette peau demain… peut-être aujourd’hui… mais plus probablement avant une heure !

Ils sortirent à reculons sur un geste de Deschenaux.

Le domestique, demeuré dans l’antichambre, conduisit vers le vestibule les deux compères qui riaient sous cape. Du vestibule un huissier les précéda vers la grande porte du Palais.

Mais à l’instant où Pertuluis et Regaudin arrivaient à cette porte, un grand diable d’homme, armé d’une terrible rapière qui claquait à ses mollets, s’y engouffra comme un ouragan. Et ce grand diable, hurlant et ricanant, bouscula des gardes et des huissiers, passa sur le ventre de trois ou quatre portiers, envoya rouler sur les dalles Regaudin et Pertuluis, assomma un domestique d’un coup de poing et disparut comme un tonnerre dans le grand vestibule, puis, crac ! il parut passer au travers d’une porte !

— C’est ce damné Flambard ! bredouilla Pertuluis qui se ramassait.