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LA BESACE D’AMOUR

Jean Vaucourt et Marguerite à son bras marchaient vite dans la nuit obscure.

Les rues de la ville étaient désertes.

Le capitaine et la jeune fille demeuraient silencieux. Tous deux étaient assiégés par mille sentiments divers et mille pensées qu’ils ne pouvaient exprimer. Il leur semblait que tous deux étaient emportés dans un rêve, mais un rêve si doux si exquis, qu’aucun d’eux n’aurait voulu le voir s’effacer. Marguerite éprouvait une jouissance infinie à se sentir supportée par le bras de ce beau et fier capitaine ! Lui, éprouvait un vertige chaque fois que, pour ne pas buter sur le pavé raboteux, Marguerite serrait son bras et se pressait contre lui. Il sentait une flamme l’envahir, le brûler. Il serrait alors plus fortement ce bras sous le sien… ce bras sur lequel il eût posé ses lèvres avec délice ! Dix fois Jean Vaucourt fut saisi d’une terrible envie de crier son amour ; dix fois il réprima avec douleur des mots ardents qui brûlaient ses lèvres !

Soudain Marguerite s’écria comme avec effroi :

— Mais… vous êtes sans arme !…

— C’est vrai sourit le jeune homme. Pensez-vous qu’il y aura du danger ?

— Non… Mais les mauvaises rencontres que nous pourrions faire !

— Bah ! maître Flambard m’a procuré le truc de trouver une arme en cas d’attaque imprévue !

— Flambard ! murmura Marguerite… c’est un brave !

— C’est un héros mademoiselle ! dit Jean Vaucourt avec admiration.

— Je vous crois, sourit la jeune fille. Puis tout à coup elle étendit le bras devant elle et prononça à voix basse : Voyez ! c’est là !

— La demeure du sieur Cadet ? Oh ! je la connais.

— Comme elle est sombre ce soir…

— C’est peut-être mieux ainsi pour votre mission !

— C’est vrai. Mais je suis à peu près certaine maintenant de remplir cette mission avec succès.

— Vraiment ?

— Oh j’ai imaginé un bon moyen de pénétrer dans la maison sans que je sois soupçonnée d’espionnage ni d’intrusion : si je suis inconnue du domestique qui viendra me recevoir je demanderai à voir le médecin de Cadet.

— Vous le connaissez ?

— Un peu, oui.

— Que ferez-vous ensuite ?

— Je ne sais pas au juste, mais je compte trouver un moyen de communiquer avec monsieur de Maubertin.

— Je vous le souhaite.

Ils traversaient à ce moment une ruelle très noire. L’angle de cette ruelle était formé par une haute palissade qui entourait la demeure du munitionnaire.

Marguerite s’arrêta et dit à voix très basse :

— Je pense qu’il vaut mieux pour vous de demeurer caché ici près de cette palissade ; si vous étiez vu ou reconnu par des gens de la maison, cela éveillerait des soupçons qui pourraient nous être funestes.

— C’est bien, mademoiselle, je vous obéis. Mais si, par hasard, un danger vous menaçait ?

— Oh ! n’ayez crainte, je suis prudente !

Jean Vaucourt non sans un sentiment de crainte, la laissa se diriger seule vers la grille, puis vers la maison. Mais la nuit était trop noire pour qu’il la pût suivre des yeux. Durant quelques secondes il entendit son pas léger bruire dans le silence nocturne, puis tout se tut.

Tout se tut ?… Non, pas tout à fait. L’instant d’après il sembla à Jean Vaucourt qu’il percevait le bruit de pas étouffés dans le parterre qui précédait la maison de Cadet. Il écouta avec une grande attention. Mais ces bruits de pas se turent également comme s’était tut le pas de Marguerite. Alors il se colla contre la palissade et attendit, troublé et inquiet.

Un quart d’heure environ s’écoula sans que la solitude environnante fût le moindrement troublée. Jean Vaucourt pensait un peu au comte, un peu à Flambard, un peu à Héloïse, mais beaucoup à Marguerite de Loisel. Et, tout à coup, à sa grande surprise, il se sentit saisir violemment par plusieurs bras qui le renversèrent par terre et le ligotèrent solidement. Puis un solide bâillon fut posé sur sa bouche, et les bras inconnus le soulevèrent et l’emportèrent… Où…

Jean Vaucourt ne se le demanda pas, il était trop sous le coup de l’étonnement. Et puis, il pensa que le rêve si doux vécu quelques minutes auparavant venait de se changer en un cauchemar !…


CHAPITRE VIII

OÙ LE BARON S’ESSAYE À LA COMÉDIE SANS Y RÉUSSIR


Dix heures venaient de sonner, quand une calèche vint s’arrêter devant la maison de Marguerite de Loisel. L’homme qui en descendit était le baron de Loisel. Il attacha le cheval à la palissade et à pas de loup, gagna le porche de la maison.

Près de deux heures s’étaient écoulées depuis que Jean Vaucourt et Marguerite étaient partis pour se rendre chez Cadet.

Seule dans le salon, Héloïse de Maubertin s’était bientôt absorbée dans ses pensées. Elle repassait dans son souvenir tous les événements terribles qui étaient venus troubler sa jeunesse depuis le jour où un deuil effroyable l’avait atteinte : la mort de la comtesse de Maubertin.

Puis, un jour, un peu de bonheur avait jeté un voile sur les malheurs précédents, en se voyant réunie à son père. Alors lui était apparu Jean Vaucourt.

Jean Vaucourt.

C’était un pauvre hère, qui s’était trouvé sur le chemin du comte de Maubertin ; mais elle avait remarqué une telle énergie, une si grande fierté dans ce jeune clerc de notaire, que ce hère lui était apparu ensuite comme un héros.

Depuis, l’image de Jean Vaucourt l’avait suivie partout. Durant quatre mois elle avait uni le souvenir du jeune homme à celui de son père. Sans pouvoir se l’expliquer, ce jeune inconnu avait fait vibrer au tréfonds de son être une musique dont elle n’avait jamais encore saisi les sons harmonieux, une musique qu’elle n’avait pas même soupçonnée ! Mais cet inconnu que pouvait-il être pour elle ? Mais un sentiment inexplicable l’avait troublée lorsque son père avait dit ces mots si simples :

— Ma fille, Jean Vaucourt est un ami !