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LA BESACE D’AMOUR

Cadet entraîna son ami.

Mais avant de sortir le vicomte jeta cette bravade :

— Lardinet… Vaucourt… Comme toute cette roture se rassemble !

Il disparut avec Cadet. Et Jean Vaucourt n’avait pas bougé, et Marguerite de Loisel n’avait pas fait un autre geste, n’avait pas dit un autre mot… Ils demeuraient là tous deux, presque face à face, immobiles, muets, comme deux figures de cariatides, avec un poignard gisant par terre qui les séparait seulement…

Puis Marguerite, défaite, tremblante, blême, sourit à Jean Vaucourt.

Ce fut la détente.

Le jeune homme prit la main de la jeune fille, l’éleva à ses lèvres, et baisant cette main, dit :

— Merci à la main généreuse qui, deux fois déjà, trois fois peut-être, m’a sauvé la vie !

Il fut pris d’un étourdissement, ses jambes flageolèrent, Marguerite offrit son bras au jeune homme.

Jean Vaucourt s’y appuya.

— C’est ma blessure, dit-il, qui fait mal encore !

— Il vous faut encore du repos, sourit la jeune fille. Venez !

La voix de Marguerite n’était plus la même : elle venait de résonner si douce, si tendre…

Jean Vaucourt la regarda longuement, et, tout bas, comme s’il se fût parlé à lui-même, murmura :

— Comme elle est belle !

Il se laissa guider vers un fauteuil, sur lequel il s’assit doucement toujours soutenu par le bras de la jeune fille.

Ils demeuraient silencieux, comme gênés tout deux.

Un bruit léger se produisit tout près, un froissement de robe… Ils tressaillirent. Dans la porte du réfectoire se dessinait la silhouette tremblante et timide d’une belle jeune fille, blonde comme un rayon d’aurore, frêle comme la tige d’un lys.

Et cette jeune fille, prononça avec une stupeur indéfinissable :

— Monsieur Jean Vaucourt !

Le jeune homme s’était levé d’un bond, mais pour de suite retomber… il était trop faible. Marguerite s’était déjà élancée vers la fille du comte de Maubertin et s’était pendue à son cou en murmurant :

— Héloïse ! Héloise ! que je suis malheureuse !…

Elle pleurait…


CHAPITRE VII

OÙ L’AVENTURE DE JEAN VAUCOURT N’A PAS ENCORE ABOUTI À SON DÉNOUEMENT


L’instant d’après, la scène changeait subitement.

Devant ces deux femmes faibles voulant paraître un homme, Jean Vaucourt avait dompté sa faiblesse et s’était levé.

D’un pas mal assuré il s’approcha des deux jeunes filles et dit à Mlle de Maubertin :

— Mademoiselle, j’avais appris aujourd’hui, à mon retour de la frontière, le malheur qui vous a frappée, et cette nouvelle m’avait consterné.

Mais je suis content de vous revoir vivante. Et votre père, mademoiselle, est-il près de vous ?

— Mon père, monsieur… ah ! mon pauvre père !

La jeune fille se mit à pleurer.

— Mais vous savez qu’il est vivant, mademoiselle ?

— Marguerite me l’assure, monsieur, et c’est ce qui me tient également vivante. Ah ! le savoir mort lui aussi… après ma pauvre tante. Mais, monsieur, je resterais seule au monde !…

Un sanglot l’étouffa et elle alla se jeter sur un siège.

Alors Jean Vaucourt interrogea Marguerite de Loisel :

— Vous assurez à Mademoiselle que monsieur le comte de Maubertin est vivant, mais savez-vous en quel endroit il est ?

— Je sais seulement qu’il a été conduit, après l’accident, chez monsieur Cadet ; il avait été trouvé inconscient près de son habitation en ruine. Je ne pourrais affirmer qu’il fût encore chez Cadet.

— Savez-vous pourquoi on ne l’a pas conduit à l’hôpital ?

— Le munitionnaire voulait le confier aux soins de son médecin qui, paraît-il, est fort habile.

Le silence s’établit. Jean Vaucourt méditait. Il avait sur les lèvres une question qui le brûlait, à savoir comment le baron de Loisel était en liberté. Avait-il été libéré par ordonnance du gouverneur ? Il redoutait de commettre une indiscrétion en posant la question à Marguerite. Mais cette liberté dont jouissait le baron était l’évidence même de la vengeance dont le comte avait été l’objet. Et l’hospitalité donnée par Cadet à Monsieur de Maubertin n’était qu’un voile pour dissimuler quelque redoutable trame méditée contre le comte ! Cadet, Bigot, Loisel… en l’esprit de Jean Vaucourt ce trio avait voué le comte à quelque mort horrible et n’attendait que le moment opportun pour mettre leur infernal projet à exécution. Il lui apparut donc urgent de savoir si le comte était encore chez Cadet, afin de prendre des mesures pour l’arracher au plus tôt des mains de ses ennemis.

De nouveau il interrogea Marguerite :

— Avez-vous appris si monsieur le comte était remis de ses blessures ?

— Je n’ai rien appris, monsieur. Mais si vous désirez savoir comment il se porte et de quels soins il est entouré, je pourrais peut-être m’en informer.

— Ah ! Marguerite, si vous pouviez savoir… murmura Héloïse de Maubertin.

— Je peux essayer, répliqua la jeune fille.

— Connaissez-vous les gens de Cadet ? demanda le capitaine.

— Un peu. Deux fois déjà j’assistai aux fêtes qu’il donne en son palais.

— Et vous connaissez un peu les aîtres de la maison ?

— Oui.

— Eh bien ! mademoiselle, je pense qu’il serait très important d’avoir des nouvelles du comte et de lui faire savoir des nôtres. Voulez-vous essayer de communiquer avec lui ? Car, voyez-vous, ajouta Jean Vaucourt, je suis sous l’impression que monsieur de Maubertin est actuellement séquestré.