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LA BESACE D’AMOUR

Mais ce rayon d’espoir s’éteignit aussitôt, lorsque Bigot, sur un ton sévère, prononça ces paroles :

— Baron de Loisel, veuillez remettre votre épée à monsieur le vicomte de Loys.

Loisel eut un haut-le-corps…

De suite Bigot, par un second jeu des paupières, sembla le rassurer ; et le baron répliqua avec un calme extraordinaire :

— Monsieur l’intendant, je ne puis discuter vos ordres et j’obéis… parce que ma conscience me dit que j’ai fait tout mon devoir, parce que je me suis dis qu’un malentendu ou qu’une méprise vient de se produire. Il ajouta, en tendant la poignée de son épée à de Loys : — Monsieur le vicomte, voici mon épée !

Le vicomte accepta l’épée.

Bigot sourit imperceptiblement et reprit :

— Baron de Loisel, monsieur le marquis de Vaudreuil me donne instructions, par un courrier venu ce jour même, de vous suspendre de votre charge d’intendant de sa maison !

— Monsieur l’intendant, répliqua le baron qui se rassurait de plus en plus, certain que Bigot demeurait encore son protecteur et qu’il imaginait une petite comédie qui devait tourner à son avantage, je suis prêt à me rendre aux ordres que vous avez reçus de monsieur de Vaudreuil.

— Baron de Loisel, poursuivit Bigot, toujours calme et à demi souriant, pour exécuter jusqu’à la dernière lettre les instructions du gouverneur, je vous déclare mon prisonnier !

Cette fois le baron pâlit affreusement, il perdait tout espoir.

Mais un gémissement à peine étouffé s’éleva parmi le groupe des spectateurs, et avant que personne eût pu se porter à son secours, Marguerite de Loisel s’affaissait sur le parquet… évanouie.

Le baron poussa un hurlement de colère et de douleur et voulut s’élancer sur sa fille pour lui porter aide ; mais Flambard le contint.

— Laissez, dit-il ; ces dames donneront à mademoiselle tous les soins qu’elle peut requérir.

Il désignait Mme de Ferrière et Mlle de Maubertin qui, en effet, se portaient aussitôt au secours de la jeune fille. Pendant qu’un maître d’hôtel courait chercher un flacon de sels, un garde approchait un escabeau sur lequel on asseyait la jeune fille que soutenaient Mme de Ferrière et Mlle de Maubertin. Cinq minutes d’un silence religieux s’écoulèrent, puis Marguerite de Loisel reprit sa connaissance, et elle se mit à pleurer.

Le baron pleurait aussi depuis un moment… Ses larmes étaient-elles sincères ?

Les autres spectateurs, hormis Flambard qui ne perdait rien de son flegme et Bigot qui demeurait très calme et toujours demi souriant demeuraient muets, atterrés ou curieux.

François Bigot rompit le silence qui finissait pas peser trop lourdement, il dit en promenant un regard content autour de lui et en arrêtant ensuite ce regard sur Mme de Ferrière :

— J’ai rempli le mandat à moi confié par monsieur le gouverneur !

Il éleva sa main parfumée et à demi recouverte de dentelle vers les gardes et ajouta avec un léger sarcasme :

— Messieurs, la séance est levée !

— Pas encore ! répliqua une voix rude et nasillarde.

— Qu’est-ce à dire ? fit Bigot cette fois sans pouvoir dissimuler sa surprise. Et il se retourna, hautain, vers celui qui venait de parler.

Flambard aussi hautain que Bigot, rehaussait sa taille.

— Je veux dire, monsieur l’intendant, répliqua-t-il avec gravité, qu’avant de lever la séance, il est une porte à ouvrir !

— Ah ! bah ! fit Bigot avec une pointe d’étonnement.

— Celle-ci ! ajouta tranquillement Flambard, en indiquant la porte massive de la salle basse.

Un nouveau frisson secoua tous les spectateurs de cette scène ; des têtes se haussèrent pour mieux voir, des cous se tendirent et des oreilles se dressèrent pour mieux entendre, des cœurs battirent violemment. Le baron de Loisel, se mit à trembler terriblement.

— Pourquoi, cette porte ? demanda avec calme Bigot à Flambard qui demeurait impassible.

— Parce que de l’autre côté de cette porte sont enfermés deux innocents !

— C’est vous qui le dites !… fit avec hauteur Bigot, que ce grand gaillard avec son air sans-gêne et son attitude autoritaire commençait d’agacer.

— C’est moi… et d’autres ! rétorqua Flambard sans se troubler.

— Qui sont ces innocents ? interrogea Bigot avec une nuance d’ironie.

— Un nommé Jean Vaucourt… et…

— Un émeutier ? interrompit Bigot avec mépris.

— Et un nommé…

Flambard se tut pour regarder Mme de Ferrière et Mlle de Maubertin qui, depuis un moment, semblaient se suspendre à ses lèvres.

— Dites, monsieur ! commanda Bigot avec une politesse moqueuse.

Le regard de Flambard obliqua vers le baron de Loisel et il acheva :

— Monsieur le comte de Maubertin !

Un cri de femme couvrit l’écho de la voix de Flambard :

— Mon père ! mon pauvre père !

Et Mlle de Maubertin se jeta au cou de Mme de Ferrière délirante d’une joie surhumaine.

À ce nom de Maubertin, Bigot avait fait un pas de recul, puis son regard avait cherché le regard du baron de Loisel. Lui, paraissait frappé de vertige.

Flambard triomphait…

— Qu’on ouvre cette porte ! dit-il aux deux gardes qui se tenaient devant et en interdisaient l’accès.

Par un geste Bigot s’opposa à cet ordre de Flambard.

Il hésitait… pour la première fois dans sa vie, peut-être, il sentait la peur frôler sa nuque. Car François Bigot devinait qu’entre le baron de Loisel et ce comte de Maubertin qu’il ne connaissait pas, mais dont il avait appris la disgrâce auprès du roi, un drame s’était joué… un drame dans lequel le baron avait joué un rôle terrible, si terrible que ce même baron redoutait l’épilogue de ce drame. Et cet épilogue, il le sentait allait commencer… et pour comment finir ? Car Bigot avait accordé toute sa protection à ce baron de Loisel qui lui avait été recommandé par certains personnages louches de Pondichéry — personnages dont on n’avait plus entendu parler. Or, si Bigot avait commis un impair en donnant sa protection à