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la belle de carillon

la cuisson d’une douleur… mais une douleur si bonne encore dans le tourbillon de joie qui déferlait par tout son être.

— Isabelle… murmura-t-il sans oser relever les paupières, Isabelle, ai-je rêvé ? C’était donc vrai ?…

Elle serra doucement sa main en signe d’affirmative.

Et Valmont balbutia :

— Ah ! si je meurs… au moins je mourrai content !…

— Non ! Non ! vous ne mourrez pas ! Est-ce qu’un peu de joie, un peu de vie ne nous est pas dû, Capitaine, à nous qui avons tant souffert, à nous qui ne faisons que de naître ?

Cette fois il ouvrit les yeux…

Elle était là doucement penchée sur lui, souriante, émue, et si gracieuse et si belle, belle de toute la jeune vie qui l’enflammait et la faisait étinceler comme un astre du ciel. Incapable de parler, et voulant lui dire aussi combien il l’aimait, combien il l’avait aimée, il attira la petite main et la pressa avec amour sur ses lèvres…

À ce moment des clameurs joyeuses éclataient de toutes parts dans le fort et là-bas dans le camp de l’armée française. Aux clameurs se joignaient les fifres du Royal-Roussillon qui jouaient un air de victoire.

— Oh ! si c’était la victoire… murmura Isabelle, soudain palpitante.

Elle ne fut pas longtemps dans l’attente : bientôt des soldats envahissaient la salle d’armes et annonçaient la victoire des armes françaises. Les Anglais, battus, décimés, venaient d’abandonner dans le plus grand désordre la partie. Quantité de bataillons prenaient la fuite à travers monts et vaux par crainte de poursuite. Le soir même Abercromby allait commencer à faire rembarquer sur ses berges les débris de son armée. Et maintenant, ainsi que le rapporte un historien canadien, trois mille poitrines françaises et canadiennes chantaient autour du drapeau de la Vierge le Te Deum.

— Ah ! oui, Capitaine, s’écria Isabelle en pleurant de joie, c’est bien cette bonne Vierge qui nous a donné la victoire.

— Mais avec l’intercession de la Belle de Carillon, sourit Valmont.

Et dans le délire de joie qui suivit, elle et lui acclamèrent cette prodigieuse victoire par le baiser de leurs lèvres.




FIN