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la belle de carillon

sourire finement moqueur, parce que, voyez-vous, j’étais accompagnée…

— Malheureuse ! interrompit rudement Mme Desprès. Vas-tu m’apprendre que tu as osé une de ces escapades…

— Une très honorable escapade, chère maman, juge toi-même : j’avais pour cavalier le Capitaine Valmont !

— Miséricorde ! s’écria la veuve que le nom du capitaine canadien avait fait sursauter d’horreur.

Isabelle souriait candidement.

— Mais vas-tu me dire, reprit sévèrement Mme Desprès, quels rapports il peut y avoir entre ce Valmont et toi ?

— Je te dirai cela tout à l’heure, maman. Avant je veux t’informer que j’ai eu le plaisir ce soir de rencontrer Monsieur d’Altarez…

— Ah ! ah !

— Vous vous imaginez bien que cette rencontre n’était pas tout à fait prévue…

— Tandis que celle avec Valmont l’avait été ?… sourit moqueusement Mme Desprès.

— C’est vrai, chère maman : j’avais donné rendez-vous au capitaine Valmont.

— Malheureuse ! Malheureuse ! s’écria Mme Desprès avec honte et désespoir. Que vas-tu m’apprendre encore ? Est-ce que tu complotes avec cet assass…

— Fi ! Fi ! petite maman, ne te fâche point, veux-tu ? Et veux-tu être juste ? Et ne serait-ce pas à moi de me fâcher ? Car, avoue-le, c’est toi qui complotes… Hein, dis ?…

Calinement elle embrassa sa mère. Celle-ci serra amoureusement la jeune fille dans ses bras, mais sans se retenir de gronder :

— Oh ! tu feras toujours mon désespoir, Isabelle !…

— Maman, je veux faire ton bonheur et le mien.

— Oh ! prends bien garde à ce que tu vas me dire !

— Rien qui ne t’offensera, sois certaine. Vois-tu, tu t’es trompée à mon sujet, tu as pensé… que j’aimais Monsieur d’Altarez…

— Ah ! mon Dieu ! tais-toi, Isabelle.

— Je ne l’ai jamais aimé…

— Tu ne l’as jamais aimé ! fit Mme Desprès en pâlissant.

— Et je ne l’aime pas, Hélas ! Vois-tu, maman, je lui ferais une mauvaise épouse…

— Oh ! Isabelle, ne me parle pas ainsi, va-t’en !

— Pauvre maman, ne m’envoie pas ! Que ferais-tu désormais sans moi ?

— Oui, c’est vrai, Isabelle. Ah ! tout de même que tu me fais souffrir ! Tu n’aimes pas Monsieur d’Altarez, dis-tu ? Mais notre situation… l’oublies-tu ? Je suis veuve et tu es orpheline, et pauvres comme nous sommes qu’allons-nous devenir ?

— Rassure-toi, maman.

— Monsieur d’Altarez sera riche un jour, et avec cela il est gentilhomme !

— Bah ! si nous perdons Monsieur d’Altarez, nous en trouverons un autre qui le vaudra bien.

Mme Desprès tressaillit et décocha à sa fille un coup d’œil pénétrant.

— Quoi ! fit-elle sur un ton de méfiance, aurais-tu…

— Maman, interrompit la jeune fille en souriant avec un air énigmatique, je pense que j’ai trouvé celui qu’il me faut. Veux-tu que je te dise son nom ?

— Non ! Non ! je ne veux pas le savoir… Oh ! ne me dis pas ce nom…

— C’est bon, je te le dirai plus tard, et tu seras contente, heureuse. D’ailleurs, rien ne presse encore.

Cette fois la veuve regarda sa fille avec une expression de vive curiosité. Tantôt, Mme Desprès s’était imaginée qu’Isabelle allait lui dire le nom du capitaine Canadien, et elle avait redouté d’entendre ce nom qui, pour elle était un nom maudit. Mais à présent que sa fille lui assurait qu’elle serait contente et heureuse, la veuve croyait comprendre qu’il s’agissait d’un autre jeune homme, officier de l’armée ou gentilhomme, et peut-être aussi un plus grand gentilhomme que d’Altarez. Car, après tout, la famille du capitaine d’Altarez, comme elle se le disait, était de très petite noblesse. Et la veuve ne tenait pas uniquement à d’Altarez : elle voulait un bon parti pour sa fille, et si elle, sa fille, pouvait trouver mieux que le Capitaine des Grenadiers, elle s’en réjouirait certainement. Aussi, se sentait-elle maintenant très curieuse et elle aurait bien souhaité qu’Isabelle lui confiât le secret de son cœur. Mais comme la jeune fille ne paraissait pas encore disposée à lui dévoiler le nom de son amoureux, elle osa le lui demander. Isabelle se borna à rire doucement.

— Non, pas maintenant, maman. Plus