Page:Féron - L'homme aux deux visages, 1930.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
L’HOMME AUX DEUX VISAGES

qui la parait si avantageusement, avec ses yeux noirs plus brillants qu’un diamant et dans la clarté blanche répandue à flots par les bougies des lustres et candélabres la matité de son visage s’accentuait. Elle avait un peu la ressemblance de ces spectres ou de ces vagues silhouettes de femmes qu’on voit dans les rêves quelquefois.

Elle alla s’asseoir dans un fauteuil et près d’une petite table sur laquelle étalent posés un candélabre à cinq branches et un bouquet de fleurs. Tandis que Mélie retournait à la cuisine pour y terminer sa besogne, la jeune femme se mit à lire.

Une demi-heure se passa ainsi. Au moment, où Mélie venait dans la salle pour tenir compagnie à sa maîtresse, le marteau de la porte d’entrée résonna durement.

Les deux femmes tressaillirent et s’entre-regardèrent avec inquiétude. Qui pouvait donc venir, puisqu’elles n’attendaient aucun visiteur ? Et Mélie avait l’air plus inquiète que sa maîtresse. Celle-ci, cependant, conservait tout son calme. Elle se leva et dit à sa servante à voix basse :

— Tu ouvriras tout à l’heure, attends une minute.

Elle courut à sa chambre, prit un pistolet qu’elle glissa dans une poche de sa robe, revint dans la salle et commanda d’une voix tranquille :

— Va ouvrir, Mélie, je suis prête à recevoir.

Et elle reprit son fauteuil et son livre.

Mélie craintivement ouvrit la porte, mais en restant derrière ; elle ne pencha que la tête pour voir qui venait les déranger elle et sa maîtresse. Dehors, il faisait peu noir encore. Tout de même un homme était là sur le perron et portait une lanterne allumée, Mélie n’eut pas la peine de questionner le visiteur, celui-ci déjà tendait un papier et disait :

— Pour madame Mélie…

Bien plus surprise, qu’effrayée, la servante tendit, elle, une main fort tremblante, prit le papier et dit en repoussant la porte :

— Je vais lire et vous donnerai la réponse.

Elle referma la porte, tira prudemment le verrou et s’approcha du candélabre près duquel lisait la jeune femme l’instant d’avant. Aucune parole ne fut échangée jusqu’au moment où Mélie eut pris connaissance du contenu du billet. C’était, comme on le devine, cette invitation de se rendre auprès de Flandrin Pinchot qu’avait imaginée le lieutenant de police. Après avoir lu le billet, elle le présenta à la jeune femme, disant ;

— Voyez, mademoiselle, si vous y comprenez quelque chose…

La jeune femme parcourut le billet rapidement et répondit :

— Je comprends, Mélie, la même chose que toi, c’est-à-dire que ce Flandrin Pinchot désire te parler. S’il est blessé, on ne peut que penser qu’il désire te confier des choses importantes.

— Êtes-vous d’avis que je me rende à cette invitation ?

— Ma foi, rien ne t’y oblige ; mais il est certain que la chose est difficile à refuser, surtout si l’on suppose que cet homme est dangereusement blessé. Peut-être craint-il de mourir et peut-être veut-il te communiquer ses dernières volontés. Enfin, fais comme tu voudras, je ne veux pas te donner un conseil dans une question aussi délicate.

— J’avoue, mademoiselle, que je n’aime pas beaucoup à vous laisser seule, surtout le soir. Mais je suppose que je ne serai pas longtemps absente. Donc, puisque vous ne vous opposez pas à ce que je me rende près de Flandrin, je vais avertir le visiteur, l’ami en question sans doute, que je serai prête à le suivre dans une minute.

Si Mélie prenait cette décision, c’est qu’elle était attirée surtout par la curiosité. Qu’est-ce que Flandrin pouvait donc avoir de si important à lui confier ? Elle allait le savoir…

Elle abandonna le billet sur la table et retourna à la porte qu’elle ne fit qu’entrebâiller. L’homme qui avait apporté le billet était toujours sur le perron avec sa lanterne. La servante lui dit :

— Vous savez ce qu’il y a dans le billet, c’est-à-dire que Flandrin Pinchot, votre ami, désire me voir et me parler ?

— Je sais cela, madame.

— Si vous voulez attendre une autre minute, je vais vous suivre. Au moins ce n’est pas loin ?

— C’est à trois pas d’ici seulement, madame.

— C’est tant mieux. Si c’était loin, je n’irais certainement pas. Car, voyez-vous, je ne veux pas m’absenter plus de dix minutes ou un quart d’heure. C’est bon, monsieur, je cours m’apprêter.

Elle repoussa la porte et gagna sa chambre qui voisinait avec celle de sa maîtresse, mit une capeline sur sa tête, un châle de laine noire sur ses épaules et revint dans la salle. Comme elle se dirigeait vers la porte, la jeune femme lui fit remarquer :

— Sois le moins longtemps possible, Mélie…

— Attendez-moi dix minutes seulement, mademoiselle. Flandrin ne peut pas en avoir bien long à me dire. Dès que je serai sortie, n’oubliez pas de bien verrouiller la porte.

Elle sortit.

Dehors, l’homme la précéda pour éclairer sa marche de sa lanterne. Il ne fallut que cinq ou six minutes pour atteindre l’habitation du lieutenant de police. Dans l’antichambre les quatre gardes amenés par le secrétaire de Broussol demeuraient là immobiles et silencieux.

— Asseyez-vous, madame, dit le secrétaire sur un ton poli et en indiquant une banquette.

S’imaginant qu’on allait la conduire auprès de Pinchot qu’on voulait sans doute prévenir auparavant. Mélie s’assit sans mot dire.

Le secrétaire referma soigneusement la porte de la salle de travail où il était entré aussitôt.

Broussol était à sa table de travail.

— Eh bien ? interrogea-t-il en levant la tête

— Elle est là, monsieur.

— Bien. Je vais me rendre de suite là où je dois aller.

— Vais-je attendre votre retour ? demanda le secrétaire.

— Certainement, puisque vous devrez reconduire chez elle la brave femme.

Le lieutenant de police posa sur sa perruque blonde un grand chapeau de feutre bleu à plume noire et gagna l’antichambre.