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L’ESPION DES HABITS ROUGES

Latour était livide.

— Elle ne m’aime plus ! murmura-t-il avec accablement.

Et, tout homme qu’il était, il fut incapable de réprimer un sanglot de douleur, et sa tête se pencha lourdement sur sa poitrine,

Denise, touchée, courut au jeune homme.

— André ! André ! je suis folle, vous le voyez bien ! Oui, oui, je vous aime… je t’aime, mon André ! Oui, oui, je couperai tes liens, je les couperai !…

Son pied rencontra sur le parquet un objet qui rendit un son métallique. Elle abaissa son regard et vit le coutelas qu’elle avait échappé au moment de s’évanouir. Elle le ramassa en proférant une sorte de ricanement sauvage, et d’un rude coup elle trancha les cordelettes qui liaient les pieds du prisonnier.

Elle se redressa avec une nouvelle furie. André Latour s’était penché pour que la jeune fille pût couper les cordes qui ligotaient les mains derrière son dos. Denise, leva le coutelas… Mais elle demeura comme statufiée en voyant un homme entrer dans l’auberge, un jeune homme que suivaient une vingtaine de Patriotes… un jeune homme tout noir de poudre, tout maculé de sang, tout déchiré… mais un jeune homme triomphant, farouche encore, fier et beau…

— Ambroise Coupal !… lança Denise dans un cri d’exaltation.

Oui, c’était bien Ambroise qui venait chercher les vingt fusils de la mère Rémillard. Il vit la jeune fille, avec le coutelas dans sa main droite, et il vit les pieds du prisonnier libérés de leurs liens. Il vit tout cela d’un regard rapide, et il comprit la scène qui allait être sur le point de se passer.

Il jeta à Denise un regard foudroyant et plein de mépris.

— Ah ! ah ! dit-il sur un ton mordant, j’arrive à temps, Denise Rémillard ! Bonjour, mademoiselle ! Mais, allez, achevez votre œuvre infâme ! Coupez ces liens qui restent… rien qu’un petit coup de couteau, et c’est fait ! Donnez-nous, mademoiselle, un ennemi de plus à combattre ! Libérez votre amant de ses entraves, il faut bien, avant tout, avoir soin de nos amours ! Allez donc, ne vous gênez pas ! Et nous, pendant ce temps, oui nous, les enfants du pays, nous qu’on a tant abreuvés d’insultes sanglantes, nous qui faisons des prodiges pour assurer à notre patrie le respect de ses libertés, nous qui nous nous battons, nous qui saignons, nous qui nous sacrifions, oui, nous retournerons au feu, nous irons nous immoler tout à fait, et les lâches et les traîtres danseront après sur nos cadavres ! Belle besogne que la vôtre, mademoiselle, je vous félicite ! Mais finissez votre œuvre, elle n’est pas complète ! Comme si nous n’avions pas assez d’ennemis ! Comme si vous étiez, vous aussi, pétrie de toute la fange que nous voulons détruire ! Allez, faites mieux encore : coupez les liens à cet homme, puis de ce couteau que vous tenez venez me larder le cœur ! Vous en êtes bien capable…

— Ambroise Coupal !… rugit Denise en échappant le coutelas.

— Ah ! je vous frappe moi, mais non pas d’un coutelas, je vous frappe de l’anathème !

La jeune fille rugit de nouveau et ramassa le couteau.

— Ambroise Coupal ! ne m’insultez plus ! menaça-t-elle sourdement.

Ses yeux chargés d’éclairs semblaient vouloir foudroyer le jeune homme.

— D’où vient l’insulte ? demanda celui-ci avec calme. Ne m’avez-vous pas jeté la première ? N’avez-vous pas lancé cette insulte à toute votre race ? Oh ! je n’ai point de pitié ! Je ferme mon cœur, car en ce jour ce cœur est tout entier à mon pays. Il n’en est point une parcelle pour vous ! Il est à ma race, à ces Patriotes ! Qu’on le perce d’une épée ou d’une balle, fort bien ! Mais je ne le laisserai pas percer par les flèches de l’amour ! Allons ! Denise, encore une fois, tranchez les liens de cet homme… Mais je vous le dis : dès qu’il aura les mains libres, je le fais passer par les armes ! Patriotes, que dites-vous ?

— Mort à l’espion ! rugirent les vingt Patriotes.

André Latour demeurait statufié.

Denise chancelait. Ses yeux noirs enflammés, rougis, humides, allaient de Coupal à Latour, comme si la jeune fille eût hésité entre ces deux jeunes hommes que peut-être elle aimait également. Ses lèvres livides frémissaient, ses mains tremblaient. À ce moment elle n’aurait pas été capable de couper les liens qui serraient les deux poignets du prisonnier.

— Achevez votre œuvre, Denise ! poursuivait Coupal avec un accent cruel. Voyez-vous, plus tard on parlera de vous parmi