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L’ESPION DES HABITS ROUGES

et prisonnier des Patriotes.

Ambroise Coupal garda le silence durant une minute. Son regard profond sonda le regard éclatant de Denise. Puis, il se pencha légèrement vers la jeune fille et prononça lentement ces paroles dont il paraissait convaincu :

— Denise, André Latour est prisonnier des Patriotes, et cela vous fait de la peine ; maintenant vous méditez de lui rendre la liberté, n’est-ce pas ?

Ainsi devinée, la jeune fille perdit tout à fait contenance. Elle rougit, puis avec humeur elle marmonna :

— À quoi bon dire de telles sottises ?

— Voilà encore une expression exagérée, mademoiselle, qui fait mal à vos lèvres, ricana Ambroise.

— Eh ! clama la jeune fille reprise de courroux, vous ne cessez de m’outrager, Ambroise Coupal !

— Les vérités que je vous dis, Denise, répliqua Ambroise sur un ton grave, ne doivent pas vous blesser… car je ne veux point vous blesser. Comprenez que je tente de vous éclairer afin de vous ramener à notre cause.

— À la vôtre !… sourit cette fois Denise avec un air moqueur.

— Vous êtes toujours injuste, Denise, et vous ne voulez pas reconnaître mes intentions qui sont entièrement honnêtes et loyales. Mais, puisqu’il en est ainsi, je veux être plus franc en parlant plus clair.

— Soit, consentit la jeune fille en allant se rasseoir, je veux bien vous écouter encore. Parlez, monsieur !

— Prenez garde, Denise, reprit sévèrement le jeune homme, que ce sourire railleur de vos belles lèvres ne se transforme bientôt en une crispation de douleur. Mais au fait ! Denise, écoutez bien : je n’ai pas cessé de vous aimer, et, me connaissant, il est probable que je vous aimerai toujours, même quand vous serez devenue la femme de l’autre. Mais je n’envierai pas son bonheur, et je souhaiterai le vôtre, heureux étant de vous savoir heureuse. Si je dis que je n’ai point cessé de vous aimer, ce n’est pas avec le secret espoir de vous gagner à moi ou à ma cause personnelle, comme vous avez pu le penser ; je veux vous regagner à notre cause, la cause de tous les vrais Canadiens. Et je le veux avant que votre défection soit connue dans le pays, car toute la paroisse ignore cette défection. Toute la paroisse vous reconnaît comme une patriote. Songez à la surprise de ces braves gens s’ils savaient la vérité, et quel exemple funeste pourrait créer votre conduite ! Songez encore que vous vivez au milieu d’une population laborieuse et honnête qui vous respecte et vous honore ! Oh ! non, ils ne savent pas, ces bonnes gens, ils ne connaissent pas les sentiments anti-patriotiques qui vous animent ! Personne ne s’en doute, personne ne le sait hormis ma bonne sœur Félicie… Félicie qui vous aime ! Et je ne veux pas qu’on le sache ; car si on savait… Oh ! Denise…

— On se soulèverait contre moi, si on le savait, sourit amèrement la jeune fille, on me conspuerait, on me chasserait du village, on me fouetterait peut-être, on me lapiderait ! Et peut-être que cela vous ferait rire ? Eh bien ! livrez-moi à vos amis, monsieur !

— Denise !…

— Allez ! je n’ai pas peur, Ambroise Coupal ! Je suis prête à souffrir pour mes idées, de même que vous êtes disposé à braver tous les dangers pour vos opinions. Ambroise, je veux vous dire aussi la vérité, et une vérité dont je m’étonne de vous voir omettre. Souvenez-vous qu’avant d’échanger nos promesses je vous faisais jurer de ne pas vous mêler à la politique, de vous écarter de la sotte croisade de la jeunesse canadienne de Montréal qui prêchait la révolte et la prise d’armes. Vous avez juré !

« À quoi bon prendre les armes, nous ne serons jamais les plus forts ! » avez-vous dit. — Vous vous rappelez ?

— Fort bien, Denise. Mais je me rappelle aussi que, à quelques jours de là, les partisans et affiliés du Doric Club insultèrent la jeunesse canadienne ; alors j’ai senti en moi l’honneur de la race se rebeller, et comme tous les Canadiens de cœur j’ai voulu laver l’outrage, et je la laverai de mon sang, s’il faut !

— Vous mourrez de fanatisme ! sourit Denise avec mépris.

— Oh ! Denise, c’est le grand mot de nos adversaires !

— Et les vôtres, vos grands mots : Patrie … Devoir…

— Oui, ce sont de grands mots, Denise ; mais au moins ils ont une valeur réelle sur nos lèvres, puisque ces mots habitent dans nos âme et conscience. Nos actes et nos paroles doivent concorder avec nos pensées ;