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JEAN DE BRÉBEUF

chapper à ces Iroquois comme elle avait échappé à l’Araignée.

La petite troupe marcha toute la journée et ne s’arrêta qu’à la nuit venue près d’un petit lac tout entouré de saules et de peupliers.

Comme la veille les sauvages donnèrent à manger à la jeune fille, mais cette fois elle refusa de boire de l’eau-de-vie. Les indiens s’enivrèrent encore et roulèrent bientôt sous les saules. Marie attendait ce moment : elle prit quelques provisions et s’élança dans les bois.

Elle marcha dix jours, à l’aventure toujours. Un midi elle arriva devant une petite bourgade bâtie près d’une rivière. C’était le village d’une petite tribu alliée aux Iroquois, mais aux mœurs plus douces et plus hospitalières. La population, à ce moment, ne comptait que des femmes et des enfants, une cinquantaine environ, les hommes étaient partis à la chasse. La jeune huronne fut accueillie avec empressement et bonté. Comme, au dire des femmes, les chasseurs ne reviendraient pas à la bourgade avant l’hiver, Marie décida de passer quelques jours dans ce village hospitalier pour y reprendre toutes ses forces. Habilement elle interrogea les femmes indiennes pour se faire indiquer le chemin à suivre pour atteindre son pays, sans avouer que son pays était la Huronie. Mais les femmes ne savaient pas. Tout ce que Marie put savoir, c’est que la bourgade n’était pas loin du pays des Français. Mais c’était déjà un renseignement, et la jeune fille comprit qu’elle devait voyager vers l’ouest pour retrouver sa tribu. Elle s’en réjouit, malgré l’énorme distance qu’elle avait encore à faire. Elle avait beaucoup marché, c’est vrai, mais elle n’avait guère avancé. Elle se trouvait encore près du pays des Iroquois.

Au bout de quelques jours, lorsque ses forces furent revenues, elle quitta la bourgade hospitalière. Les femmes l’avaient tendrement embrassée avant de partir, et elles lui avaient donné des provisions pour plusieurs jours. Marie les remercia, sans oublier d’offrir ses hommages à la Providence.

Elle s’en allait encore au hasard. Une rivière lui avait barré le chemin le premier jour. Elle l’avait remontée pour trouver un gué. Mais quand elle eut réussi à passer sur l’autre berge, elle se trouva égarée de nouveau. N’importe ! elle marcha encore avec plus de confiance que jamais. Elle erra tout le reste de l’été, avec la certitude qu’elle allait un jour ou l’autre trouver la mort. Elle vivait des glands du chêne, de noisettes et de fruits sauvages. Elle fut surprise par les froids de l’automne et par les neiges de l’hiver. Les souffrances qu’elle endura sont indicibles. Mais courageuse, toujours confiante en Dieu, elle poursuivait sa route. Enfin, par un jour rigoureux de l’hiver, elle se trouva aux abords d’un lac immense tout entouré de glaces. Vers le milieu, pourtant, elle découvrait une nappe d’eau claire. Elle se mit à réfléchir, et se rappelant les voyages du Père Noir que celui-ci avait racontés, elle crut reconnaître le lac Ontario. Elle fut saisie d’une joie folle. Si vraiment ce lac était celui dont le Père Noir lui avait si souvent parlé, alors elle n’était pas loin de son pays !… Ce fut avec un cœur nouveau, avec une plus grande foi en Dieu qu’elle s’engagea dans la forêt et, enfin, au déclin de ce jour de janvier 1649, elle atteignait miraculeusement la bourgade Saint-Louis.

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Marie pleurait de joie en terminant son récit.

Mais Jean de Brébeuf n’était pas moins joyeux, tout en compatissant aux souffrances que la jeune fille avait endurées, de savoir celle-ci toujours chaste et pure. Ses yeux s’emplirent de larmes et son cœur monta vers Dieu pour le remercier de sa puissante protection.

— Oh ! ma fille, s’écria-t-il, je veux de suite rendre grâces au bon Dieu de t’avoir protégée et ramenée parmi nous. Va trouver tes parents et tes amis, repose-toi, et ce soir nous célébrerons ton retour après avoir chanté à la chapelle des actions de grâces au Seigneur et à la Vierge-Marie !

Il y eut en effet, ce soir-là, de grandes réjouissances à la bourgade Saint-Louis, réjouissances qui durèrent jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Or, tandis qu’on fêtait le retour de Marie, les Iroquois, avec le terrible Araignée à leur tête, quittaient leur pays et, à petites journées, prenaient le chemin de la Huronie où ils venaient porter le fer et le feu.