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JEAN DE BRÉBEUF

Gaspard Remulot chassait le gibier et apprêtait les repas, et Jean de Brébeuf, à cause de sa force extraordinaire et de sa vigueur, se réservait la plus rude besogne : les portages.

Gaspard était trapu, agile et vigoureux aussi. Terriblement barbu, on le lui voyait que le nez et les yeux. C’était un esprit grognard et jovial, aimant les bons mots, mais un jureur forcené que Jean de Brébeuf finissait par corriger. Généreux et brave, téméraire même, aucun danger ne le rebutait comme aucune corvée. Et toujours prêt à s’immoler pour le missionnaire, de même que celui-ci voulait toujours épargner à son compagnon les pénibles corvées, Gaspard avait donc été pour Jean de Brébeuf une acquisition de réelle valeur. Aussi les deux hommes s’entendaient-ils mieux que deux frères.

Voilà donc ce qu’étaient les deux compagnons du missionnaire, dont nous allons, à présent, essayer le portrait d’une façon aussi véridique qu’il nous est possible à trois siècles de distance.


CHAPITRE III

JOANNES DIT JEAN DE BRÉBEUF


C’est en 1593, à Condé-sur-Vire, près de Bayeux, que naquît Jean de Brébeuf.

Il était issu de la vigoureuse race normande et d’une famille d’ancienne noblesse qui s’était illustrée sous le régime des ducs de Normandie, entre autres le célèbre Rollon. Dès sa jeunesse Jean de Brébeuf avait laissé voir des dispositions pour l’apostolat, bien qu’à la vérité on le crut plutôt attiré vers les arts et plus particulièrement vers la littérature religieuse. Il montra de si grands talents au cours d’études très brillantes qu’il attira sur lui l’attention du général des Jésuites. Celui-ci, en effet, avait découvert chez l’étudiant une intelligence supérieure, un caractère ferme et loyal, un cœur généreux, une vaillante nature.

« Voicy un soldat de la Foy ! » avait-il dit.

Et, de fait, le jeune Jean de Brébeuf se sentit à ce moment, plus qu’à tout autre de sa jeunesse, fouetté par le souffle des vrais et des sublimes combats. Il fut donc enrégimenté dans l’illustre Compagnie de Jésus, qu’il avait toujours, d’ailleurs, considérée comme la plus belle forme de chevalerie errante. Très instruit et paraissant tout d’abord doué des meilleures qualités propres à l’enseignement, on décida de le lancer dans cette direction. Mais Jean de Brébeuf assura qu’il se sentait trop d’activité pour se condamner à languir dans une classe, bien qu’il voulût de toute âme se soumettre à la volonté de ses supérieurs comme à celle de Dieu. Il demanda qu’on l’envoyât dans quelque lointaine mission, notamment dans les missions de la Nouvelle-France. Ses supérieurs ne paraissaient pas disposés à acquiescer à ses désirs, quand intervint le duc de Ventadour dont le futur Apôtre des Hurons s’était fait un allié.

Il s’embarqua pour Québec en 1625 avec les Jésuites Charles Lalemant et Ennemond Massé.

Durant la première année de son séjour au Canada, Jean de Brébeuf eut la mission des Montagnais sur le fleuve Saint-Laurent. Il étudia avec ardeur les langues sauvages et se forma à la vie et aux mœurs des indiens. En 1626 il se rendait au pays des Hurons que Samuel de Champlain avait découvert et parcouru vers 1615, et où des Pères Récollets avaient jeté les premiers germes de l’évangélisation. Déjà, le jeune missionnaire admirait la beauté pittoresque de ce pays nouveau qu’était le Nouveau-Monde, et son climat, quoique rude, ne lui avait pas paru insupportable. Dans un pays jeune et neuf comme celui-ci, tout vierge encore, que de grandes choses ne pouvait-on pas accomplir pour la gloire de Dieu d’abord, pour celle des hommes ensuite ? Que de merveilles ne pouvait-on pas faire jaillir de cette terre si bien parée par le Créateur ? Jean de Brébeuf se sentait aiguillonné âprement par l’immense désir d’accomplir quelques-unes de ces merveilles qu’il imaginait, mais de les accomplir pour la plus grande gloire de Jésus-Christ, et, entre autres, la conversion des nombreuses peuplades païennes qui vivaient au sein des forêts.

Il se mit donc carrément à l’œuvre. La rude besogne qu’il entrevit ne l’effraya pas. Il constata de suite que le premier travail des Pères Récollets n’avait point laissé de fruits. La friche à attaquer était aussi formidable qu’aux premiers jours où les Récollets étaient venus tracer le pre-