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JEAN DE BRÉBEUF

métique et la géographie. Dès les premières leçons le jeune indien s’était épris d’une grande passion pour le savoir, et à l’âge de douze ans il lisait avec plaisir tous les livres que le missionnaire pouvait lui procurer. Il avait appris la langue de France et la parlait avec une facilité remarquable, tout en conservant un accent rude et rocailleux.

Son grand talent, joint à ses nombreuses qualités physiques, n’avait pas manqué de susciter l’admiration de ses congénères qui, déjà, le désignaient comme le futur grand chef de la tribu. Par ce talent, son savoir, sa bravoure et sa gravité naturelle il s’était créé un certain prestige qui ne pouvait que grandir avec les années et lui assurer sur sa tribu une autorité exceptionnelle.

L’année après avoir commencé l’instruction du jeune Jean, le Missionnaire, s’étant rendu dans une tribu lointaine alliée à la tribu des Hurons, les Andastes, qui s’étaient réfugiés dans les forêts du Nord pour échapper aux Iroquois, y avait découvert une fillette d’une huitaine d’années, et si intelligente et jolie qu’il avait décidé de l’instruire et d’en faire une chrétienne. Mais comme la plupart des Andastes ne semblaient pas disposés à se rapprocher du pays des Hurons, Jean de Brébeuf réussit à emmener avec lui la fillette et son père et sa mère. Il avait établi la famille dans le village des Hurons qui l’avaient fort bien accueillie à cause de la rare beauté de la jeune indienne.

Qui sait, se disait le missionnaire, si, une fois christianisée, cette enfant plus tard ne pourrait m’être un puissant auxiliaire dans la conversion de sa tribu ?

Il l’avait donc instruite en même temps que le jeune Huron, puis deux ans après il l’avait baptisée sous le prénom de Marie. De même que Jean, elle apprit la langue française qu’elle finit par parler très correctement. À elle aussi le missionnaire enseigna l’histoire de France et la géographie. Un peu plus tard, les deux enfants se liaient d’amitié, et tous les jours ils lisaient ensemble avec le plus grand plaisir les livres que leur prêtait le missionnaire. Ils finirent par s’aimer. Un jour, c’était l’année qui avait précédé le massacre de la bourgade Saint-Joseph, le jeune huron avait déclaré au missionnaire :

— Père Noir, quand je serai devenu chef de mes guerriers et de ma tribu, je veux que vous me donniez Marie pour femme !

— Certainement, mon ami, avait souri Jean de Brébeuf ; elle te fera une femme admirable. Nous y penserons.

Le jeune indien avait acquis une grande vénération pour le missionnaire dont le courage, la patience, la douceur et la bonté l’émerveillaient toujours. Il l’avait bientôt considéré comme son père et ne voulait plus s’en détacher. Il accompagnait le missionnaire chez les tribus les plus lointaines, ne reculant jamais devant les fatigues ou les dangers. Jean de Brébeuf allait fort souvent, chez des tribus féroces pour y semer la parole de l’Évangile et porter des éléments de civilisation européenne. L’amitié et le respect que lui portait jusqu’au plus grand dévouement le jeune indien, était pour lui une marque de reconnaissance qui le payait amplement des peines qu’il s’était données pour conquérir à Dieu cette âme vierge d’un enfant de la forêt. L’enfant avait montré un cœur généreux en trouvant un père dans ce missionnaire, et lui, il avait acquis un compagnon dévoué, sûr et utile.

Quant à l’autre personnage, Gaspard Remulot, c’était un ancien pêcheur de Saint-Malo. Venu au pays vers 1628, il s’était adonné à la chasse et au commerce des pelleteries et durant dix années il avait parcouru toutes les parties de l’Amérique. Il avait tôt préféré la terre ferme, ses forêts et son gibier à la mer, ses flots et son poisson. En 1638 Jean de Brébeuf l’avait arraché des mains des Iroquois qui s’apprêtaient à le martyriser, parce que Gaspard avait commis l’imprudence de chasser sur leurs terres. Bien qu’il ne redoutât pas la mort sous quelque forme qu’elle se présentât, Gaspard aimait la vie quand même, surtout cette vie aventureuse qui possédait sur son tempérament un si puissant attrait. Aussi, voulant à son sauveur prouver sa gratitude, il s’attacha à lui et promit de lui vouer le reste de ses jours. Avec le jeune indien il devint le compagnon assidu du Père dans ses voyages d’évangélisation. Il s’occupait surtout, au cours des voyages, de trouver la nourriture nécessaire et de l’apprêter au mieux de ses connaissances culinaires. Dans ces voyages les trois compagnons avaient donc chacun leur besogne particulière : le jeune indien tenait les avirons le long des cours d’eau,