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FIERTÉ DE RACE

re le dos. Parfois un sourire courait sur ses lèvres, parfois un léger froncement troublait ses sourcils épais, parfois encore son œil gris paraissait se poser avec inquiétude sur la fenêtre d’où l’on voyait la rue et ses passants. Oui, malgré son bon air et sa belle mine, le docteur ne paraissait pas tout à fait tranquille.

Une fois, il s’arrêta près de son bureau, d’une main distraite et nerveuse il remua des papiers épars, et murmura :

— Que vais-je dire à cette femme ?… Quels arguments plausibles pourrai-je employer pour plaider avec succès la cause de mon neveu ?…

Il reprit sa marche plus soucieux, plus agité. Il perdait de son assurance, ses épaules se voûtaient, sa tête hardie penchait peu à peu vers la poitrine comme sous le poids d’un accablement. Son sourire de tout à l’heure devenait un rictus, ce rictus se fit ricanement.

Il se jeta brusquement dans un fauteuil et murmura en réponse aux pensées qui assiégeaient son cerveau :

— Décidément, ce fou-là me met dans une jolie posture ! — Une drôle d’ambassade, vraiment ! N’aurai-je pas l’air idiot ? Voilà ce que c’est que d’avoir affaire aux amoureux ! Stupidité !… Et c’est peut-être pour une petite sotte… sinon pour une coquette quelconque !… Un ange !… Ah bah ! Que penser, au juste, d’une nièce de Mme Renaud ?…

Il demeura silencieux un moment, le front durement barré de plis profonds. Puis, se frappant la tête, il reprit :

— Ah ! mais, par exemple, je n’avais pas pensé à cela !… Si mon neveu cherchait tout simplement à se moquer de moi ! Il en est bien capable. Car, j’y songe maintenant : pourquoi l’autre soir en me narrant ses désespoirs, avait-il par moments à ses lèvres des sourires… mais oui, des sourires fort narquois ! Suis-je peu perspicace !… Allons, allons ! je commence à voir clair. Mon neveu veut se payer ma binette ! Pourquoi encore ? Dans quel but ? Pour quel motif ? Il y a certainement là un mystère à démêler, et j’allais m’aventurer joliment au hasard dans ces cryptes inconnues et dangereuses où conduit le fol amour. Oui… fol amour ! Malicieux Cupidon qui conduit l’homme sensé à toutes les imbécillités !

Il se leva avec un geste de colère.

— Ah ! mais, diable ! par exemple, mon neveu ne se fichera pas de moi ainsi ! Qu’il s’arrange avec son fol amour ! Allais-je être bête ? Il s’est dit peut-être : « Nous allons rire du vieux » !… Ah !… mais… monsieur Georges, on n’est pas si vieux que ça ! ah ! mais non… mais non…

Dans une glace où se refléta l’image de sa personne le docteur jeta un regard satisfait. Il sourit.

— Bah ! reprit-il, des cheveux qui grisonnent légèrement, et c’est tout. Quant au reste….

Son soliloque fut interrompu par un coup de timbre qui le fit tressaillir très fort. Il courut à la fenêtre… mais trop tard pour apercevoir la personne que annonçait sa venue. Il entendit la porte du vestibule se refermer.

Vivement il alla s’asseoir à son bureau sur lequel régnait un grand désordre. Il se mit à remuer toutes sortes de choses, et au lieu de classer et de ranger, comme il paraissait en avoir l’intention, il ne fit qu’accroître le désordre et le pêle-mêle. N’importe ! il avait pu, du moins, trouver une contenance.

La vieille servante entra.

— Deux dames désirent vous voir, Docteur, annonça-t-elle.

— Ah ! fit simplement le docteur en regardant sa servante avec une interrogation muette.

— Je les ai introduites au parloir, ajouta la vieille bonne sans saisir l’interrogation exprimée par les regards de son maître.

— Bien ! dit le docteur.

— Voulez-vous que je les amène ici ?

— Non.

— En ce cas, je vais leur dire d’attendre.

— C’est ça.

La vieille sortit.

Le docteur se leva, s’approcha de la glace, promena un œil interrogateur sur sa physionomie, donna un coup de doigt à sa cravate, et murmura, songeur :

— Deux dames !… Qui sont-elles ?…

D’un geste brusque il assura sur lui sa redingote, releva la tête, et dit :

— Bah ! je verrai bien.

Froid et grave, il se dirigea vers la porte de son cabinet, traversa le vestibule vers la porte du parloir.

Mais dans la porte de cette pièce le docteur ne put contenir un mouvement de surprise et de recul en même temps, lorsqu’il reconnut Mme Renaud. Il se ressaisit de suite, et de suite aussi la beauté et la grâce virginale de Lucienne attirèrent son attention. Pour la première fois en sa vie, peut-être, le docteur Crevier remarquait ou constatait une beauté faite de candeur et de pureté. Son œil de médecin, expert par habitude, pénétra aussitôt jusqu’à l’âme de la jeune fille. Puis il étudia l’expression du visage, il surprit la légère confusion qui s’en dégageait, il scruta les regards profonds et modestes de ces jolis yeux bleus, et il put enfin constater, dans ce court examen, qu’il avait devant lui un cœur vierge et une âme chaste. Il ne put s’empêcher de rougir lorsque Lucienne le salua d’un sourire d’ange.

Un ange ! Ce mot jaillit à son esprit et l’éblouit.

Mais déjà Mme Renaud disait avec son meilleur sourire :

— Mon cher docteur, je vous amène ma nièce qui est très malade.

Le docteur ne répondit pas ; il continuait à observer la jeune fille.

Pour échapper à la gêne où la mettait l’examen persistant du médecin, Lucienne prononça ces paroles :

— Je vous assure, monsieur le docteur, que ma tante exagère.

Le docteur regardait toujours Lucienne. Il demeurait debout, les mains derrière le dos, la tête inclinée, ses yeux gris, tout pleins de lueurs singulières, attachés sur cette jeune et séduisante personne.