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LES ORIGINES NORMANDES

détermina ce qu’il faut de générations à une famille pour s’épanouir et mûrir en un poète génial. Ce n’est pas une efflorescence spontanée. En combien de jongleurs obscurs, oubliés, perdus, la gent ne s’était-elle pas essayée déjà à notre insu ? Combien de fois le rameau n’avait-il pas vu périr sa fleur avant que ne fût noué le fruit ? Que d’essais avortés, inlassablement repris par des rejetons vivaces ! Mais après toutes les aventures de la barbarie ignorante et maladroite, l’arbre arraché et transplanté a trouvé enfin une terre propice, le pollen adventice épousé le stigmate.

Tout le long des annales littéraires françaises, les Normands se sont efforcés vers le réalisme, obéissant à l’instinct fatal de leur sang. Que le génie latin, fait de mesure et de discipline, revendique Malherbe encore qu’il soit né chez nous, j’y consens ; mais cil qui le premier s’affranchit des disciplines, des abstractions fastidieuses du moyen âge, qui fut littérairement et socialement un rebelle, je le revendique pour la race des forts. Il tient d’aïeux différents son pouvoir de réaction contre le milieu celte.

M. Gaston Paris pense qu’Alain Chartier, de Bayeux, n’a pas été sans influer sur Villon, « qui lui doit au moins la forme extérieure de ses deux principales œuvres ».

Villon a bien un ancêtre chez nous, mais c’est Robert Wace. Plus près de nos origines danoises, Wace, au lieu d’exprimer son moi, a exprimé son peuple. La poésie épique précède logiquement la poésie personnelle : aux époques primitives le clan absorbe l’individu.

Avant Villon, Wace a donné au vers français une frappe nette et sans bavure, une tranche fine, un juste aloi. Cela sonne bien français, est d’un jet dru, d’un tour svelte ; la musique en est chantante qui du premier coup captive et s’impose au souvenir. L’un est de la fin du douzième, l’autre du milieu du quinzième, et cependant comme ils sont proches et se ressemblent !

Cil porta gonfanon en drap vermeil d’Espagne.

L’escholier parisien pourrait-il pas signer ce vers ?