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— Voyons, entrez, fit le mulâtre, d’un ton un peu brusque qui ne lui était pas habituel.

Puis il examina le nouveau venu avec une attention bien marquée. Ce n’était pas défiance de sa part ; mais Jérémie, comme tous les gens de sa classe, et comme beaucoup de blancs aussi, croyait fermement aux zombis (revenants, esprits), et un visiteur nocturne, qui s’annonçait de cette façon, lui inspirait des doutes sérieux.

Aux premières paroles que Firmin avait prononcées à la porte, Madeleine s’était levée vivement et avait senti tout son sang refluer à son cœur. Il lui avait semblé reconnaître la voix du jeune créole ; au moment où il entra, elle fixa sur lui un regard profondément scrutateur, tout en rendant à Firmin le salut moitié gauche, moitié élégant que lui adressa celui-ci.

— Asseyez-vous, lui dit Jérémie en s’approchant de la chandelle pour lire le billet.

Firmin ne se fit pas répéter deux fois cette invitation ; ses jambes fléchissaient sous lui. Madeleine, en fille discrète, se disposa à sortir de la salle, ne sachant s’il ne s’agissait pas d’affaires entre le nouveau venu et son père.

En se retirant, elle passa tout contre Firmin pour arriver à la porte. Elle le regarda à peine et lui rendit une petite révérence. Firmin, en sentant la robe de Madeleine frôler ses genoux, éprouva un tressaillement qui lui fit monter une sueur froide au front.

La première pensée de Jérémie, après avoir décacheté la lettre, fut de chercher des yeux la signature. En apercevant le nom de Firmin de Lansac, il poussa un cri… Madeleine était alors sur le pas de la porte et allait sortir. Elle revint vivement en arrière, et d’une voix inquiète :

— Qu’il y a-t -il, père ? demanda-t-elle au mulâtre.

Celui-ci, par un brusque mouvement, avait éloigné le pa-