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pour ce rendez-vous par pure politesse ; on a vu que son cœur questionné n’avait poussé aucun cri d’amour.

Nul retour vers le passé ne pouvait donc provoquer chez lui un entraînement qui eût été un mensonge. Après sa séparation d’avec Madeleine, il avait résolu de venir à la Calebasse, risquant de n’y plus rencontrer madame de Mortagne, mais avec l’espérance et avec l’arrière-pensée de retrouver peut-être dans l’éclat de ses yeux une étincelle capable de rallumer un feu éteint qui lui fît oublier une passion qu’il était obligé de nourrir à l’état de rêve.

Eh bien ! malgré lui, le rêve, dominait dans son âme en présence même de madame de Mortagne. Il resta froid et comme interdit devant elle, causant avec négligence de ce retour simultané à la Martinique : on eût dit deux personnes inconnues l’une à l’autre, se rencontrant par hasard, et essayant de tuer le temps.

Madame de Mortagne fut plus froissée encore qu’étonnée de cette réserve de Firmin. Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang ; puis, s’accusant ensuite, pensa que sa tactique avait été peut-être malhabile. Elle fit un retour sur soi-même, et mettant un piége dans ses yeux, sur ses lèvres et au bout de ses doigts, elle tendit au créole une main affectueuse, en lui disant :

— Vous ai-je fait quelque chose qui vous blesse, Firmin ?

M. de Lansac baisa respectueusement la main de madame de Mortagne.

— Vous n’avez jamais été que bonne et affectueuse pour moi, Madame, lui répondit-il.

— Eh bien ! alors, reprit-elle, quittons l’un et l’autre ce ton boudeur et maussade qui nous messied également ; puisque nous voilà réunis, dites-moi que vous êtes heureux, comme je vous dis que je suis heureuse de cette rencontre.

Elle se leva alors, et alla reprendre sa place dans le ha-