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torrent, est semé de roches rondes et mobiles, et, par endroits, pavé de larges pierres noires.

C’est un véritable défilé tortueux, gardé des deux côtés par de vastes solitudes, des bois épais de lianes enveloppant de leurs replis verts des arbres gigantesques. Un solennel silence y règne toujours, à peine interrompu par le cri monotone de quelqu’oiseau sans voix, ainsi que le sont les plus brillants oiseaux de ce climat. De temps à autre un serpent chauffant son ventre marbré aux rayons du soleil, comme un vrai lazzarone, dérangé dans sa paresse par le bruit des pas du cheval, traverse rapidement le chemin et s’enfonce dans ces abîmes de verdure où quiconque oserait pénétrer serait infailliblement dévoré.

Au sommet de ce morne, le chemin s’élargit, et forme même une espèce de demi-lune très-ombragée par un dôme d’épais feuillage, que le soleil parvient rarement à percer. Arrivés là, chevaux et hommes font d’habitude une halte salutaire, soit pour reprendre haleine après avoir monté le rude morne de la Calebasse, soit pour se préparer à le descendre, selon la direction du voyage. Quelques troncs d’arbres, des blocs de gazon, disposés en manière de bancs, sont placés de distance en distance autour de cet hémicycle dont le sol, jonché de feuilles mortes, est légèrement détrempé. Dans un coin s’élève une ajoupa, où une vieille négresse, toujours vieille, j’ignore pourquoi, débite des liqueurs fortes, dont on éprouve instantanément le besoin en entrant sous cette voûte humide.

Au moment où Firmin y arriva, la Halte (comme on appelle ce lieu) était complétement déserte. La vieille négresse se présenta aussitôt, tenant d’une main une bouteille de tafia, de l’autre une bouteille de rhum ; de chacune des poches de sa jupe, un paquet de bouts sortait à moitié.

La vieille négresse sait son monde (c’était comme cela