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discours, puis prononça tout d’abord cet exorde, d’une voix tremblante :

— Avant tout, Monsieur, je vous demande en grâce de ne point trouver dans mes paroles autre chose que le respect que je vous dois, et l’affection que je porte à ma fille.

Firmin rougit légèrement ; regardant le mulâtre avec un étonnement mêlé de curiosité :

— Parlez, lui dit-il.

— Et bien ! reprit Jérémie d’une voix plus tremblante encore, mais qui se raffermit peu à peu ; eh bien ! tenez, je vais tout franchement au but… J’ai peur que vous ne soyez amoureux de Madeleine.

Firmin fit un mouvement qui n’échappa point au mulâtre.

— J’en étais sûr, continua celui-ci ; mais ce n’est pas tout. Il est difficile qu’un homme comme vous, jeune, beau, riche, aime longtemps une jeune fille, sans que celle-ci, toute vertueuse et honnête qu’elle soit, ne finisse point par s’enflammer d’amour aussi. Eh bien ! Monsieur, dans le cas présent, ce serait un bien plus grand malheur que vous ne sauriez vous l’imaginer. À quoi aboutirait votre passion pour Madeleine ? Vous vous diriez que c’est une mulâtresse, qu’il vous sera par conséquent comme permis de la séduire, de la déshonorer. Ce serait affreux, car vous me forceriez à me jeter à la mer, la pierre au cou. Je ne survivrais pas au déshonneur de Madeleine ; ce serait ma honte et mon crime !

Jérémie, à bout d’une émotion qu’il avait pu maîtriser jusque-là, sentit son cœur battre violemment, puis les larmes lui montèrent aux yeux. Il s’arrêta un moment, comme pour reprendre haleine, et chercha dans l’arsenal de son éloquence naïve quelqu’argument capable d’ébranler le jeune homme.