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lois sociales du pays lui commandaient de mettre entre elle et le jeune créole ; elle avait même refusé de s’asseoir comme celui-ci l’y avait engagée à deux reprises. Firmin s’était écarté de la table, et, la serviette sur ses genoux croisés, le coude nonchalamment appuyé, il n’avait pas détaché les yeux de dessus Madeleine, qu’il contemplait avec une vive admiration.

Un court moment de silence se fit. Madeleine avait baissé la tête devant le regard de Firmin ; elle demeura un instant intimidée et indécise sur la manière dont elle devait s’y prendre pour se retirer.

— Quel âge avez-vous, mon enfant ? demanda tout à coup le jeune homme. On peut sans indiscrétion vous faire cette question-là, ajouta-t-il, et vous ne devez pas avoir peur d’y répondre.

— J’aurai dix-sept ans bientôt.

— Et votre nom, que je ne sais pas encore ?

— Je me nomme Madeleine, pour vous servir.

— Pour me servir ! non pas ! s’écria Firmin avec une sorte d’enthousiasme ; je rougirais de me laisser verser un verre de vin par vous, ou de vous voir me changer une de mes assiettes. Vous êtes faite pour être servie, au contraire charmante Madeleine. Et d’ailleurs, vous m’avez dit que ce n’était point vous qui vous occupiez des travaux de la case. Parbleu ! si ce n’était l’occasion que cela m’a procuré de vous connaître, je serais furieux que vous ayez dressé cette table et ce couvert.

— Cela s’est trouvé ainsi aujourd’hui, répliqua la jeune fille, parce que notre ménagère est à l’hôpital depuis hier. Jusqu’à ce que nous en prenions une autre, il faut bien que je tienne la case.

— Mais à cet affreux métier, vous allez endommager vos fines et blanches mains, Mademoiselle Madeleine ; elles sont véritablement faites pour chiffonner la soie et tra-